Un directeur ad hoc.
Le premier directeur de la base inter temporelle Alpha IV, sise en plein Paléolithique Moyen dans la Vallée de la Vézère, était un pionnier de la science.
Avec son ami le physicien Igor Zarensky, ils avaient mis au point la première machine d’exploration temporelle, et ils avaient décidé de prouver au monde entier que les voyages dans le temps étaient devenus une réalité.
Le projet initial des deux savants était de rendre à la Terre qui se mourait une faune et une flore convenables, mais il fallait d’abord les réinsérer dans le seul secteur de l’Europe épargné par les retombées radioactives et les pollutions diverses qui avaient menées la planète à une atroce agonie.
Dans ce monde ravagé, soumis à une tyrannie menée par le syncrétisme religieux, l’armée et l’oligarchie, où les droits élémentaires de l’individu étaient bafoués chaque jour davantage, les deux savants étaient considérés comme de dangereux rebelles.
Les religieux en effet considéraient la théorie de l’évolution comme une monstruosité satanique, et aller avant le déluge pour ramener au trentième siècle des animaux et des plantes, même pour sauver le monde, l’œuvre du Diable !
L’armée, elle, voyait dans les voyages temporels l’arme suprême qui assurait la victoire sans coup férir en tuant dans l’œuf tous les ennemis éventuels, quitte à changer l’Histoire.
Les oligarques, eux, virent dans les voyages temporels le moyen de recruter de la main-d’œuvre dans les siècles passés pour aller conquérir des mondes dans l’espace, les fonds des océans, et bien d’autres choses encore.
Les deux fous, à bord d’un glisseur bricolé de bric et de broc partirent donc pour le passé, dans l’espoir de ramener quelques spécimens, cependant que l’armée dirigée par le Général Lemercier investissait leur laboratoire dans l’espoir de voler leur invention.
Les deux savants disparurent dans leur pitoyable véhicule quand les troupes d’assaut investirent leur laboratoire.
Pour reparaitre exactement une seconde plus tard, transportant un être étrange, indistinct, tas de fourrures hirsutes et de cheveux roux emmêlés, malodorant.
L’armée vola dans la foulée l’invention des deux savants, et leurs plans. Le Général Lemercier menaça aussi de s’emparer du « souvenir » que les deux rebelles ramenaient.
Serge Matthieu et Igor Zarensky se retrouvaient avec, sur les bras, leur précieux spécimen, un petit bipède très laid et mort de frayeur. Ils ne savaient au juste ce qu’ils allaient en faire, ni à quel genre au juste il pouvait bien appartenir.
En attendant, on leur avait volé et leur machine, et leurs plans, et ils n’avaient pas de crédits pour réaliser leurs projets.
Quelques secondes après parurent dans le labo dévasté des hommes qui étaient les amis de Zarensky, ses anciens collaborateurs russes, dont Sergueï Kospodine, qui venaient à la rescousse pour éviter qu’on leur prît leur spécimen.
Les deux savants et leur précieuse créature se retrouvèrent donc hébergés, quelques temps, dans la base inter temporelle Alpha, construite, grâce aux inventions de Zarensky, par les Russes, secrètement. Même le pouvoir oligarchique mondial ignorait tout de leur projet.
Les oligarques et le pouvoir en place recherchaient à présent les savants, les considérant comme traitres à leur patrie et éléments séditieux dangereux. Les voyages à travers temps apparaissaient soudain comme instruments de révolte, et le Professeur Matthieu, tout comme Igor Zarensky préférèrent endormir le pouvoir en faisant semblant de céder.
Pour éviter le pire, et avoir des crédits pour leur projet, les deux hommes signèrent un pacte avec le diable, négociant avec l’armée et les oligarques la réalisation de leur projet Arche de la Terre qui devait permettre de réimplanter sur la planète flore et faune, en commençant par les secteurs les moins contaminés.
Mais avant cela, ils étudièrent soigneusement leur curieux spécimen, une petite Néanderthalienne, une toute jeune femme, dénommée Wang-Ka.
Pour le monde en déréliction d’où ils provenaient, cette femme issue d’une espèce humaine aussi étrange que les Néanderthaliens dont en fin de compte on ignorait tout, était la Providence. Elle allait leur permettre d’avoir les crédits dont ils rêvaient, la base inter temporelle sortirait de la clandestinité, l’Armée aurait ses berserkers de rêve, la science et la médecine ses cobayes de choix et les oligarques, les esclaves parfaits.
Les savants du trentième siècle avaient perdu, suite aux conflits des siècles antérieurs, toute ou presque toute la science anthropologique et archéologique des siècles précédents. Ainsi, tout ce que les savants savaient des Néanderthaliens étaient qu’ils étaient très forts, pas très intelligents, et féroces. On pensait qu’ils ne savaient pas parler, et qu’ils étaient parfaits pour ce qu’ils voulaient en faire.
S’ils avaient eu sur ces gens tout le savoir que les savants du vingtième et du vingt-et-unième siècles avaient accumulé sur ces hommes anciens, ils n’auraient pas eu la cuisante surprise qui les attendait.
Pendant plusieurs mois, ils firent subir des tests de toutes sortes à la pauvre Wang-Ka qui vivait dans une cage du laboratoire de la base inter temporelle, comme un singe anthropoïde, la malheureuse !
Serge Matthieu étudiait passionnément le drôle de spécimen qui lui était échu, et un beau jour, fut bien marri de réaliser que ledit spécimen comprenait parfaitement ce qui se disait autour de lui, et, pis, avait tout saisi des sinistres projets des hommes du futur pour les Néanderthaliens.
Car tous les livres de préhistoire, ceux du moins, qui avaient traversé les siècles et évité autodafés, ergotaient à l’envi sur la disparition mystérieuses de ces pauvres gens, et ces francs-tireurs de la science sans conscience s’étaient engouffrés dans cette brèche. On ne changeait en rien l’histoire de l’humanité, puisque Néanderthal avait disparu ! Donc, Néanderthal était la solution idéale à leur problème. Ils avaient besoin de bras, ces colosses imbéciles les leur fourniraient. Ils avaient besoin de matériel d’expérience, et ces hominidés seraient parfaits, idem pour les mères porteuses et les banques d’organes ! Ils avaient besoin de nourriture pour les bas-niveaux et la populace… Les esclaves et spécimens morts et recyclés allaient les leur fournir !
Quant au service d’ordre et à l’armée, une fois ces rustres dument conditionnés et formés, intégrés de force dans leurs rangs, ils seraient invincibles !
Serge Matthieu, lui, ne savait plus que penser. La petite femme encagée ne disait rien, mais ses grands yeux verts lumineux le fouaillaient jusqu’aux tréfonds de l’âme, et, un jour, il eut le choc de sa vie. La Néanderthalienne parlait ! Certes, avec un accent redoutable, et en grande partie dans un patois rugueux et arrache-gorge, mais elle parlait ! Et les quelques mots de français qui émaillaient son virulent discours étaient nettement compréhensibles, contrevenant ainsi à toute les théories en vigueur !
Ce que Matthieu ne savait pas, tout comme la plupart des membres de son équipe, c’est que la nuit, l’Intelligence Artificielle qui régissait ce microcosme qu’était Alpha, apprenait tout un tas de choses à la jeune prisonnière, à leur nez et à leur barbe !
Et les résultats des tests que subissait le petit cobaye montraient des résultats plus que respectables !
Le préhistorien ne savait comment agir avec cette créature déconcertante. Tout d’abord, elle était beaucoup plus propre que ce à quoi il s’était attendu. Ensuite, elle avait des manières plutôt paisibles et même raffinées. Elle prenait soin d’elle, de son apparence. Il est vrai que quand il l’avait récupérée, elle était liée à un arbre, offerte aux prédateurs. Qu’avait-elle donc fait pour mériter un tel sort ? Les caméras de la base inter temporelle avaient filmé de bien étranges scènes dans les clans de la tribu d’où elle venait, montrant des êtres finalement bien plus intelligents et débrouillards que tout ce que l’on imaginait à leur sujet ! Ils s’exprimaient par la parole, chantaient, dansaient, créaient parfois des choses plutôt belles, même si c’était sur des matériaux périssables, taillaient habilement les silex et d’autres pierres pur faire des armes et des outils redoutables, s’avéraient des chasseurs émérites, et, pour finir, ils étaient tellement plus beaux que tout ce qu’on pouvait penser jusqu’alors, qu’avant qu’on fît des examens médicaux poussés de la jeune femme, il avait douté sérieusement qu’elle fut une Néanderthalienne ! Mais les HDRMN avaient des clichés en 3D de son squelette robuste, et le doute n’était pas permis. Ce crâne épais et fuyant, cette face massive projetée vers l’avant, ces sourcils en surplomb, cette saillie à l’arrière du crâne, cette mâchoire carrée, puissante, fuyante et sans menton étaient bien typiques de ces êtres à l’humanité plus que contestée et plus que contestable !
Et pourtant, l’être qui se tenait lamentablement rencogné dans sa cage et qui levait vers lui de grands yeux tristes pleins d’interrogation et d’incompréhension était troublant.
Ça n’était pas un simple primate, mais bien un être humain. Différent, mais humain.
Voilà qui mettait toutes les théories du préhistorien à mal, et qui allait lui poser un sacré cas de conscience.
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