dimanche 31 août 2008

Merci, Ouvrard !

Ouvrard était un chansonnier, un comique trouper, comme on en voyait quelques-uns au début du XX° siècle, et il est devenu célèbre avec sa chanson "Je ne suis pas bien portant", dont le refrain, qui s'allongeait d'un couplet à l'autre, commençait ainsi ;

"J'ai le foie,
Qui est pas droit,
J'ai la rate,
Qui s'dilate,
Les poumons
Tout en long,
Et le coeur,
En largeur !
Ah mon Dieu qu' c'est embêtant, d'être toujours patraque,
Ah mon Dieu qu' c'est embêtant, je n'suis pas bien portant !"

Eh bien moi, je pourrais en rajouter de la sorte :
J'ai les yeux
Tout chassieux,
La rétine
Qui s'débine,
L'corps vitré
Tout troublé !
Et un calcul au foie,
Qui est très nul, ma foi !
Et des dents à abcès,
Mais ce n'est pas assez !
J'ai les nerfs en pelote
Et l'cerveau qui radote !
Des allergies
Au saut du lit,
Des insomnies
Chaque nuit !
Et de l'asthme,
Oui, hélas !
Ah mon Dieu, qu'c'est embêtant,
D'être toujours patraque,
Ah mon Dieu Qu'c'est embêtant,
Je n'suis pas bien portante !

mercredi 20 août 2008

Petit poème pour Ulysse...

Je lui ai envoyé ça sur son blog, à propos des J.O. dont lui aussi se tape royalement le coquillard à coups de massue !!!

Coucou !
Me revoilou !
cher Ulysse, je suis pire que vous !
Les J. O, je m'en contrefous,
Le sport ne me plaît pas du tout,
Et, plus que tout,
Les Chinois me sortent par les pores,
Car ils maltraitent le Tibet, ces porcs,
Ce sixième de l'humanité, je l'abhorre,
Et j'espère bien que leur karma
Pour avoir sali le nom de Gautama
Souillés les Panchen et Dalaï Lamas
Sera plus terrible encore
Que ce très fameux météore
Qui des dinosaures et ptérosaures
Causa le cuisant trépas !
La langue de bois et le politiquement correct
Ne valent rien face à mes arguments directs !
Moi, je les ai en horreur,
Tous ceux qui règnent par la terreur,
Et les JO de Pékin
Ont un relent de ceux de Berlin !
Quel Jesse Owen osera,
Bravant de ces gens l'ostraca.
Grimper sur le podium,
Et crier Tibet, Freedom !!!
Quand nous cesserons
De cirer les pompes du Dragon
Au nom du Capital
et de l'intérêt international,
Le monde enfin vivra
Et la justice soudain régnera !

lundi 18 août 2008

A Paris, au mois d'août, on peut crever !!!

JE SUIS FURAX ! J'ai une rage de dent (qu'il faut donc mettre dehors) depuis le 13 août, jour où je revenais de chez Mimi. Le 14 août, le cabinet médical où je vais d'habitude, était fermé. Heureusement pour moi, j'avais de l'ibuprofène et des antibiotiques qu'on m'avait déjà donnés pour des maux dentaires tout à fait similaires, et un bain de bouche. J'ai donc pu passer le weekend du 15 août à peu près tranquille... Mais voilà qu'aujourd'hui, où je devais reprendre mon travail, j'ai réussi à tomber sur la denrée rare : un dentiste ouvert au mois d'août, après en avoir appelé une dizaine !!! On m'a demandé de faire un panoramique dentaire, ce que je suis allée faire, mais voilà, il n'y a quasiment plus d'endroits à Paris où on ne paie que le ticket modérateur, et il faut donc en donner de sa poche avant tout. Je suis donc allée chercher des sous, et il ne me restait en tout et pour tout que 48 € pour finir mon mois ! J'ai pris 45 €, heureusement que je suis payée le 21 août, et je suis allée donc me faire faire cette damnée radio. Cela m'a coûté 42€ 16 ! Mais après, je suis allée chez la dentiste, nantie de la précieuse radio, et je lui ai expliqué mon souci d'argent. Or, il aurait fallu, là aussi, que je paie avant qu'on fasse quoi que ce soit... De toute façon, quand ils ont examiné le panoramique dentaire, ils ont vu qu'ils n'auraient rien pu faire dans l'urgence, car j'ai un ENORME abcès sous une molaire à pivot et couronnée depuis dix ans ! Cette saleté ne s'est manifestée qu'il y a 5 jours, mais heureusement que j'ai tous mes remèdes, parce que ça faisait un mal de chien... Du coup je me demande si c'est la douleur liée à l'abcès qui m'a fait du mal à la dent de sagesse plombée située au-dessus de cette damnée molaire, ou si c'est le plombage de la dent de sagesse qui ne serait plus imperméable et par lequel des cochonneries auraient pu s'infiltrer infectant tout... On m'a donc délivré une ordonnance, avec des antibiotiques ciblés pour les dents, et aussi, un anti-douleur... Du Diantalvic... Gros souci, parce que le Diantalvic renferme du paracétamol et que le paracétamol ne me fait aucun effet, si ce n'est de me rendre encore plus malade ! je le leur ai dit, et ils m'ont soutenu mordicus que non, il n'y avait pas de paracétamol là-dedans... Je suis allée à la pharmacie, et le pharmacien m'a bien confirmé que j'avais raison ! Qu'est-ce qui m'a foutu des médecins qui ne SAVENT MEME PAS de quoi se composent leurs remèdes ? Du coup, sachant qu'il y a des gens allergiques au paracétamol, je les ai rappelés, au cabinet dentaire pour leur dire que je continuais avec mon ibuprofène, et que le paracétamol, il y en avait dans ce qu'ils avaient voulu me faire prendre, non mais des fois !!! Quand je le dis, qu'on peut crever, au mois d'août à Paris, je sais de quoi je parle !!! Parce qu'en plus, ces citoyens ne peuvent me recevoir que le 27 août, pas avant, car visiblement, ça va être les travaux de restauration du Palais de Versailles !!! Quelle chierie, la vie est une pute, une dure pute !!!    

vendredi 8 août 2008

Boycottons les Jeux Olympiques et la langue de bois !!!

Il y a quelques mois, j'appelais au boycott des JO de Pékin. Je persiste et je signe ! Foin de l'hypocrisie et du mercantilisme, de la prostitution des nations démocratiques rampant devant le dragon chinois !

Ras le bol aussi du mensonge du politiquement correct et de langue de bois ! Il n'est pas insultant de parler d'un aveugle au lieu d'un non-voyant souvent confondu avec le malvoyant qui lui est notre bon vieux miro des familles ! Maintenant il est de bon ton de parler de porteurs de handicaps en lieu et place des personnes handicapées ou des simples handicapés tout court ! Tout ceci finit d'entretenir la confusion entre les différentes catégories de handicaps... Déjà la plupart des gens confondent handicapé qui est un terme générique avec handicapé mental, ou débile mental. Or il y a des handicaps mentaux, certes, mais aussi moteurs, ou sensoriels et les handicapés moteurs et sensoriels sont souvent très loin d'être des débiles mentaux ! La vision populaire de la chose entretient  hélas la confusion et cela continue à entacher la manière dont les handicaps sont perçus ! Dans la plupart des associations et institutions l'infantilisation éhontée de la personne handicapée demeure la règle générale ! Or que l'on parle aux débiles mentaux comme à des gamins et encore, soit, mais quid des autres ??? C'est inadmissible ! D'en parler en termes différents n'a rien changé ! Ce ne sont pas les mots les plus choquants mais bien nos états d'esprit !

Et nos petits vieux sont devenus des Séniors ou des personnes du troisième âge ! Ridicule ! Ca n'effacera pas les rides l'arthrose et l'odeur de pisse des maisons de retraite/mouroirs qui sont la honte réelle de notre société !

Je crache à la gueule du politiquement correct et de la langue de bois, et je vomis l'hypocrisie générale de notre société !!!

jeudi 7 août 2008

Autre petit essai.

Poursuite des essais avec le nouveau logiciel. Juste pour voir.

Wacances !!!

J'informe mes éventuels et honorables lecteurs que je suis actuellement en wacances chez mon amie Mimi à Castanet Tolosan.
Pendant que le Nord souffrait d'une tempête terrible, pendant deux jours à Toulouse et dans sa région, nous avons bénéficié de deux jours de canicule infernale et d'orages somptueux. Aujourd'hui, il fait toujours un peu orageux mais plus frais, et c'est bien agréable, on respire, au moins !!! J'ai emprunté l'ordinateur de Mimi pour rédiger ce bref article. A bientôt pour d'autres nouvelles !

samedi 2 août 2008

Non ! Elle ne veut décidément pas récupérer sa carcasse ! Par Mimi.

Suite des événements baroques du 24 février 3001... Délian-Ka ne veut décidément pas revenir dans son pauvre corps bien abîmé, il faut dire...

La méditation.

Et imitant leur amie qui se trouvait déjà en état second, les quatre jeunes gens s’assirent en tailleur autour de mon lit, se prirent par la main et entreprirent de méditer. 
Je pensais qu’ils mettraient un temps considérable à entrer en transe, étant donné qu’ils n’avaient pris ni Infusion des Esprits ni quoi que ce soit d’approchant mais ils avaient dû tant prier pour moi ces derniers temps que leurs dons semblaient en être décuplés. Sauf peut-être ceux d’Anaïak qui, bien que Shamaïn, ne voyait pas ou ne voulait pas voir à quel point Innocent était un mauvais homme.
Ce fut pourtant lui qui se décorpora en premier, vite suivi par ses quatre acolytes. Leurs âmes sortaient de leur corps par le haut de leurs têtes et s’élevaient lentement dans ma direction, toutes d’un jaune d’or éclatant. Il n’y avait pas de doutes possible : Moïa aussi était de la partie.

Ida refait surface.

Je ne tardai pas à apercevoir dans un coin de la pièce une autre source de lumière, sensiblement  plus bleue mais tout aussi claire. Je sus instinctivement qu’il s’agissait de l’esprit de ma grand-mère. Je fus véritablement furieuse de constater qu’elle osait se représenter devant moi après le tour pendable qu’elle m’avait joué la veille !
Je me laissai aller à croire pendant quelques instants qu’elle avait peut-être changé d’avis mais que nenni ! Elle se joignait aux autres pour me supplier de regagner mon corps terrestre, tentant  comme eux, et tout aussi vainement, de m’attraper pour me forcer à regagner la pauvre carcasse meurtrie qui reposait sur le lit en contrebas, plus inerte et pitoyable que jamais.

Saïna aussi.

Mon indignation finit par atteindre son comble et c’est alors que se produisit une chose amusante : la Force de Saïna dont j’avais oublié jusqu’à l’existence, ces derniers temps, s’empara de mon âme et même de mon malheureux corps qui sembla soudain la proie d’une violente crise de convulsions !
Quelques secondes plus tard, c’était le chaos dans toute l’unité de soins intensifs : un vent à décorner les mégacéros soufflait dans toute la pièce, déplaçant les lits et faisant bruyamment tomber les mille et un objets qui se trouvaient là ! De l’endroit où je me trouvais, je riais bien, ravie de mon petit effet ! J’essayai bien de déconcentrer mes cinq amis qui méditaient toujours mais en pure perte ! Leurs âmes ne regagnèrent leur corps que quand ils le décidèrent ; lentement posément.
Beaucoup moins calme et posée fut l’arrivée de plusieurs infirmiers dans l’unité de soins intensifs. Il était fort comique de les voir s’agiter ainsi, courir après des lits soudainement atteints de crises d’autonomie, rattraper au vol des objets insolites tombés d’on ne savait où et parfois même s’envoler eux-mêmes ! A côté d’eux, mes anciens amis, calmes, souriants, assis en tailleur à même le sol offraient un contraste saisissant et d’une grande drôlerie.
Fut-ce mon envie de rire ou le simple fait que mes dons trop longtemps endormis ne pouvaient se manifester que brièvement ? Toujours est-il que le phénomène s’interrompit comme il avait commencé. En proie à une lassitude aussi soudaine que profonde, je me sentis tomber comme une pierre vers mon corps redevenu inerte mais je sus au dernier moment éviter cette malédiction et parvins péniblement à survoler la pièce pour me réfugier dans le coin le plus sombre et le plus reculé de la pièce qui se puisse trouver..

Déplacement.

« - Mais enfin, qu’est-ce qui se passe, ici ? protesta Edmond, remettant en place la potence à laquelle était accrochée ma perfusion.
- Il se passe que Kanou a récupéré ses dons, preuve qu’elle ne va pas tarder à récupérer tout court ! sourit Tinky.
- Et bien sûr, vous n’y êtes absolument  pour rien, avec votre petit numéro de gourous marabouts ! râla le moderne.
- Absolument pour rien ! répondit Naho, gracieux, Nous avons simplement médité pour joindre son esprit et la convaincre de regagner son corps mais elle n’est pas d’accord ! Elle semble penser que c’est la pire chose qui pourrait bien lui arriver ! Sa défunte grand-mère qu’elle aimait tant s’est même mise de la partie et je crois que c’est ça qui nous l’a mise dans une colère pas possible ! Du coup, ses dons se sont réveillés d’une manière spectaculaire et quelque peu négative, je dois bien le reconnaître ! Quoique ! Ça aurait pu être pire ! Elle aurait pu s’en prendre à nous voire à elle-même, chose à laquelle elle n’a même pas pensé !
- Toi, tu me stupéfies ! sourit Edmond perplexe mais sans une once de méchanceté, Tu as été le premier homme de Néanderthal à faire des études de médecine : tu aurais dû être épaté par tout ce que tu as découvert ! Devenir plus scientifique que les scientifiques, plus rationaliste que les rationalistes mais non ! Tu continues à raisonner comme un sauvage que tu es ! Tu réagis en sorcier ! Tu ne cesseras donc jamais d’être un véritable sauvage au fond de toi !
- Tout comme toi tu restes un indécrottable moderne matérialiste en dépit du fait que tu aies épousé une Rakhéïa ! objecta Naho sur le même ton.
- Certes ! dit Edmond, Il est vrai que les croyances de ma petite Maraïrina ont parfois tendance à me dépasser un peu ! Et pourtant, quand je vois ce que je viens de voir… L’hypothèse d’un courant d’air dans cette salle est complètement exclue ! Et puis de toute façon, ce n’était pas un courant d’air mais une véritable tornade ! Bon sang, j’ai moi-même du mal à croire ce que je suis en train de dire ! Pourtant c’est vrai ! Vous avez une sacrée petite copine en la personne de Kanou ! Quel tempérament impétueux pour ne pas dire tempétueux ! Vous comprendrez facilement qu’après ce qui vient de se produire, je ne peux plus envisager de garder Kanou dans cette pièce !
- Mais pourquoi ? s’insurgea Niya.
- D’abord parce que ce n’est plus utile ! répondit le jeune médecin, se penchant au-dessus de moi, Si elle arrive à faire ça, c’est qu’elle est sur la voie de la guérison, comme vous dites ! Ensuite parce que c’est dangereux ! Et pour elle et pour le matériel ultra-perfectionné qui se trouve ici ! Mais surtout pour elle, tout de même ! Vous savez, j’ai du mal à croire à toutes ces choses que vous dites voir mais il y a une chose dont je suis absolument certain : les personnes dans le coma entendent ce qui se passent autour d’elles et si elle n’a jamais eu l’idée d’attenter à ses propres jours en usant de ses dons parce que l’idée ne lui est sans doute jamais venue, je suis sûr que maintenant, elle y pense ! Parce que tu en as parlé, Enah-Ohar et qu’elle t’a peut-être entendu ! A la prochaine manifestation de ses dons, le pire sera à craindre si elle reste ici !
- Tu as raison, Edmond ! fit Naho, pensif, Quel balourd je fais ! Moi aussi, je le sais, que les personnes dans le coma entendent tout ! Quel pauvre idiot !
- En tout cas, si elle a entendu ce qu’a dit son Innocent, elle doit être charmée ! grommela Niya.
- C’est peut-être pour ça qu’elle ne veut pas revenir. hasarda Wenn-Daha.
- Non, il y a autre chose ! Elle ne veut pas revenir parce qu’elle croit que nous lui voulons du mal ! dit Tinky.
- J’ai perçu ça aussi. avoua Niouk, Mais je dois bien reconnaître qu’elle éprouve des sentiments hostiles à l’égard de son mari.
- Par contre, elle ne se rappelle plus les événements ayant précédé son accident et elle ne sait plus qui est Enemy Mine. fit remarquer Tinky.
- On devrait peut-être le faire revenir afin de provoquer chez Kanou un choc salutaire qui la tirerait enfin de son coma ! suggéra Niouk.
- Alors ça, JAMAIS ! s’écria Niya, Tu ne crois pas qu’il a déjà fait assez de mal comme ça, celui-là ?
- En vérité, il n’a rien fait ! dit Tinky, fataliste.
- RIEN FAIT ? ? ? répéta Niya, incrédule, Il a cassé la gueule d’Innocent sans raison apparente il se baladait avec une arme à feu, il a menacé d’égorger Kanou avec un cran d’arrêt, il l’a abandonnée aux griffes des Ra-Hoïen, il s’est montré assez stupide pour aller provoquer des Garakoï, il a multiplié les idioties et tu oses dire qu’il n’a RIEN FAIT ! ! !
- Il n’a rien fait de mal ! répéta Tinky, Le pugilat avec Innocent est tout à fait sujet à caution, l’arme à feu n’était pas chargée, il n’a pas fait exprès de tomber sur des Garakoï, il a fui les Ra-Hoïen par lâcheté typiquement moderne mais ensuite, il a tout tenté pour récupérer Kanou ! Seul un accident bête et méchant l’en a empêché ! Reste le coup du cran d’arrêt que Kanou semble avoir très facilement pardonné par la suite !
- Et c’est surtout de ça que tu lui en veux, avoue ! ricana Wenn-Daha en donnant au jeune Marrakhéï une bourrade amicale mais néanmoins virile.
- Cette enflure l’a littéralement violée alors qu’elle se trouvait sous l’effet de l’Infusion de Force ! protesta Niya, Et elle a aimé ça ! Et elle s’est donnée à lui encore et encore [...]  Non mais vous vous rendez compte ?
- Ce dont je me rends surtout compte, c’est que tu es vert de jalousie ! sourit Tinky.
- Et tu crois que je n’ai pas de bonnes raisons de l’être ? s’emporta Niya, Par Moïa ! J’ai passé la majeure partie de mon existence à aimer cette femme comme un fou sans être payé de retour ! Et je l’aime encore, c’est ça, le pire ! Je l’aime et je sais pourtant qu’à son réveil, elle sera toujours aussi hostile à mon égard alors que moi, je donnerai ma vie, mon âme, mon sang pour qu’elle redevienne comme avant ! Et tout ça pour rien ! POUR RIEN !!! J’ai fait des efforts pour changer ! Pour évoluer ! Pour lui plaire ! En  vain ! Et un stupide moderne qui fait de la musique carrément moins bonne que la mienne passe dans le coin, fout le bordel dans tout  au point de s’en faire expulser (Vous reconnaîtrez vous-même qu’il faut vraiment faire des siennes pour en arriver là !), la fait tourner en bourrique pendant plusieurs jours, l’insulte, la menace, l’abandonne à mille dangers pour ensuite la violenter pendant qu’elle est inconsciente et elle tombe éperdument amoureuse de lui ! Vous trouvez ça normal, vous ? Vous trouvez ça logique ? Eh bien pas moi ! Parce que si j’avais fait le tiers du quart du dixième de ce que ce sale type a fait, elle m’en voudrait à mort pendant des années !
- Certes, Niya ! Les voies de Moïa sont impénétrables et le cœur d’une femme l’est tout autant ! sourit tristement Tinky, Je suis vraiment navrée que ça n’ait pas marché entre Kanou et toi mais il faut te dire une bonne fois pour toutes que c’est fini ! Tu as eu ta chance, ça n’a pas fonctionné et c’est ainsi ! Le petit Marshall, de son côté, n’avait rien demandé et c’est un peu vrai qu’elle lui a collé aux basques pendant plusieurs jours avant qu’il ne cède à ses avances. Et au fond, pourquoi se serait-il gêné ? L’occasion était trop belle de faire de l’anthropologie sur le tas ! Tu parles d’un viol mais je crois que tu exagères un peu parce que tu ne veux pas voir la vérité en face, Nirin ! Si Kanou avait redouté quoi que ce soit de la part de ce jeune homme, jamais elle ne lui aurait donné de l’Infusion de Force. Certes, elle n’avait guère le choix puisqu’il fallait qu’elle le guérisse de ses blessures mais si vraiment elle s’était méfiée de lui, elle n’aurait pas pris le risque de boire l’Infusion à son tour ! Elle serait restée éveillée toute la nuit ! Elle en avait largement la force !
[...]
- C’est ainsi, que veux-tu que je te dise ? soupira Tinky, fataliste, Pendant la journée, ce jeune homme ne la maintenait pas captive, il lui parlait, ils se respectaient mutuellement aussi incroyable que cela puisse paraître de la part de l’un comme de l’autre !
- Lequel d’entre nous aurait pu croire ça lorsqu’ils se sont retrouvés en face l’un de l’autre la première fois ? demanda Naho à la cantonade, Une sauvageonne éprise de paix et de liberté comme Kanou et un parfait produit de la société moderne qui aime à jouer les brutes et les machos, tombant littéralement dans les bras l’un de l’autre !
- D’autant que dans son sommeil, il parle rakhéï, preuve qu’il a dû connaître ces gens de très près dans cette vie ou une autre ! objecta Wenn-Daha.
- Et Kanou a passé l’éponge là-dessus ! rappela Niouk, On aurait même dit qu’elle ne l’en aimait que davantage !
- Si on était venu me raconter tout ça, je n’y aurais jamais cru, même avec toutes les intuitions possibles et imaginables ! avoua Tinky, Mais je l’ai vu ! Nous l’avons tous vu !
- Et s’il s’agissait d’une manipulation ? s’enquit Niya, plein d’espoir et de doutes en même temps, Je ne peux pas croire que ma Kanou, si douce, si gentille se soit éprise de cette petite frappe ! Ce camé outrancier, ordurier, peroxydé et mal foutu ! Et doté d’une voix de crécelle, en prime ! Il y avait forcément un conditionnement là-dessous ! ajouta-t-il serrant les poings
- Il n’y a aucune manipulation derrière tout ça, Niya ! dit Anaïak en posant une main robuste sur l’épaule de son ami, Kanou et ce jeune homme se sont aimés alors que rien ne les y prédisposait ! C’est ainsi ! Il faut t’y faire et te dire que la plupart des histoires d’amour commencent comme ça ! Ma Tinky ici présente ne voulait pas entendre parler de moi, au départ, et je suis sûr que jamais Wenn-Daha ne se serait imaginé acoquiné avec une charmante damoiselle du Moyen-Age !
- Ça, tu peux le dire ! s’écria Wenn-Daha, Elle paraissait si frêle et si engoncée dans ses vêtements bizarres ! Moi qui n’avait jamais craqué pour autre chose que des filles solides comme des rocs et libres comme le vent, je n’ai pas imaginé un seul instant que je trouverais le bonheur avec elle, le jour où elle s’est matérialisée par erreur dans notre niveau et m’a timidement demandé où elle se trouvait ! Pauvre Héloïse ! Elle était littéralement terrifiée et se demandait même si j’étais une créature de Dieu ou du Malin ! Si quelqu’un était venu la trouver pour lui expliquer que je deviendrais un jour son époux et le père de son enfant, elle l’aurait très certainement giflé !
- Oui, eh bien c’est moi qui vais vous gifler si vous continuez à papoter de la sorte ! intervint Edmond d’un ton plaisant, Deux heures que j’essaie d’en placer une sans que vous ne vous aperceviez de quoi que ce soit ! Ce n’est pas un salon de thé, par ici, les jeunes ! Et votre Kanou a besoin de repos ! Et surtout d’aucun choc quel qu’il soit, même pas salutaire ! En outre, si son Enemy Mine revient et la trouve dans cet état, il risque de ne jamais s’en remettre !
- D’autant que je lui ai tout fait oublier ! rappela Naho, Il risque de se demander ce que nous attendons de lui !
- Kanou est très faible. reprit Edmond, redevenu sérieux, J’ai pris son pouls pendant que vous discutiez ! Il est très lent ! Son souffle n’est qu’un infime souffle de vie ! Je crois que cette manifestation de ses dons l’a épuisée ! Tout choc pourrait donc lui être fatal ! Ne faites même pas venir ses enfants auprès d’elle ! Cela pourrait être trop dur pour les uns comme pour les autres ! Par contre, j’insiste sur le fait qu’elle ne peut plus rester ici ! J’ai trop peur d’une nouvelle attaque de vent furieux. Nous allons la mettre dans une petite chambre tout ce qu’il y a de classique avec le moins d’objets possibles à l’intérieur ! Moi non plus, je ne veux pas qu’elle se fasse mal ! »
Quelques minutes plus tard, on faisait rouler mon lit vers une chambrette isolée, sans fenêtre et presque sans meubles. Il y régnait un silence pesant. Cette chambre était, je le savais, généralement attribuée à des gens extrêmement dépressifs et à tendance suicidaire. Bon nombre de préhistoriens néanderthalophobes y avaient échoué en constatant que leurs théories fumeuses n’avaient aucun fondement, suite à une rencontre orageuse avec l’un d’entre nous ! Tout juste si les murs n’étaient pas capitonnés ! La table de nuit, le lit et l’armoire étaient scellés dans les murs en question ! Impossible de déplacer un meuble quelconque en piquant sa crise ! Même en déployant les dons les plus impressionnants qui soient, c’était impossible ! 
Sur un ordre d’Edmond, Naho et Tinky, en bons infirmiers diplômés me débarrassèrent de la couverture de survie, me soulevèrent du lit roulant sur lequel j’avais dû reposer pendant des mois et me déposèrent sur ma nouvelle couche. Edmond me fit une piqûre, sans doute pour me redonner des forces, puis on remonta draps et couvertures sur moi.
Après quoi tout mes amis sortirent en silence, embarquant le pieu roulant à leur suite et refermant précautionneusement la porte derrière eux.
Je me retrouvai dans cette petite pièce toute noire, perplexe avant de réaliser, ravie, que j’avais enfin pu sortir de l’unité de soins intensifs ! Mon esprit tout comme mon corps ! Je n’étais donc plus prisonnière de ces murs sordides si j’avais pu suivre le mouvement ! Mon corps était peut-être condamné à végéter dans cette nouvelle chambre mais mon esprit était sûrement libre de vagabonder dans toute la base !
Las ! Lorsque je tentai de passer à travers les murs, puis la porte, je me cassai le nez que je n’avais plus ! Je ne pouvais pas plus sortir de là que si j’avais été en chair et en os ! Mon âme était condamnée à se trouver enfermée dans la même pièce que mon corps !

Fin du voyage de Délian-Ka... par Mimi

Toujours à l'infirmerie de la base intertemporelle Gamma, l'âme et le corps de Délian-Ka ont vraiment du mal à se réunir... La pauvre Néanderthalienne a peur de réintégrer son corps bien amoché... Et, surtout, de découvrir la vérité sur l'origine de cet accident terrible.
Petite explication : Niouk est le surnom d'Anaïak, le mari de Wang-Ka, dite Tinky. Naho, le surnom d'Enah-Ohar, l'un des ex de Délian-Ka. Niya est l'autre ex de Délian-Ka, Innocent Maxence, le métis moderne-néanderthalien est le mari actuel de Délian-Ka, et Wenn-Daha l'ami d'enfance de Délian-Ka. Eh oui, elle a eu une vie mouvementée, Délian-Ka !
Un Mohar est un homme de la tribu des Moharn, engeance néanderthalienne hélas méconnue... Un Marrakh, le chef d'un clan de la tribu des Marrakhéïn, hélas disparue dans les brumes du temps, et Tilirina, l'équivalent marrakhéï de petite chérie. Ben oui, pourquoi n'auraient-ils pas inventé les mots doux, ces pauvres Néanderthaliens ?

24 février 3001 (suite)

Innocent le mécréant

« - Mais nous ne parlons pas de son corps, mécréant de moderne ! se fâcha Anaïak, C’est son esprit qui est là ! Son esprit que nous tentons en vain de ramener parmi nous depuis deux lunes ! Moi aussi, je l’ai perçu !
- Elle disait qu’elle avait mal ! dirent Naho et Niya en un chœur touchant, me lâchant à leur tour mais plus délicatement, tout de même.
- Elle a gémi, c’est tout ! dit sèchement Innocent, Elle ne sait plus que gémir depuis tous ces mois ! Pas besoin d’être un sorcier de pacotille pour croire que l’on perçoit sa souffrance !
- Innocent, écoute… commença Tinky d’un ton conciliant.
- Non, TOI écoute-moi ! Écoutez-moi tous, bande de macaques stupides et superstitieux ! C’est tout de même de MA FEMME que l’on est en train de parler ! Et ma femme se meurt ! Depuis qu’elle est dans cet état épouvantable, je ne sais plus à quel saint me vouer, moi ! A tel point que j’ai bien voulu échanger les icônes de mon enfance contre vos divinités païennes ! J’ai voulu croire à votre magie, ou votre sorcellerie, appelez ça comme vous voudrez ! Oh, Dieu sait que j’ai voulu croire à tout ça ! Qu’avec vos soi-disant pouvoirs, dons, magnétismes, visions ou que sais-je encore, vous alliez pouvoir me la ramener et faire en sorte qu’elle reprenne connaissance ! Qu’elle guérisse ! Mais regardez-là ! Jamais, plus jamais elle ne sera comme avant ! Qui sait ce que son cerveau a enduré depuis tout ce temps ! Quelles lésions ont pu l’endommager ! Et la médecine du XXX° siècle n’a rien pu faire contre ça ! Alors ne venez pas me faire croire que vos salamalecs de sauvages cavernicoles vont réussir là où la VRAIE médecine a échoué ! acheva-t-il d’une voix rauque.
- Non mais dis donc, Innocent Maxence ! protesta Niya, Depuis quand nous tiens-tu dans un mépris pareil ?
- C’était notre femme avant d’être la tienne ! » rappela Naho.
Ceci fut sans doute le mot de trop : Innocent fit le tour du petit lit et se posta devant Enah-Ohar, les lèvres retroussées, les yeux brillants. Le Mohar lui opposait un calme souverain et quelque peu méprisant. Niya, non loin de là, gronda sourdement.
« - Ça suffit, tous les trois ! s’écria Anaïak en lâchant mon autre bras pour venir se poster au beau milieu du belliqueux trio, Vous n’avez pas honte ? Où vous croyez-vous ? C’est une unité de soins intensifs, ici !
- Tu crois qu’on ne le sait pas ? dit Niya d’un ton à la fois boudeur et penaud.
- Écoutez, les gars ! Je sais que vous êtes tous plus ou moins fous de cette femme et je comprends très bien que ce qui arrive puisse vous porter sérieusement sur les nerfs ! reprit le Marrakh, Si une chose pareille arrivait à ma Tilirina, je suis sûr que j’en deviendrais comme fou ! ajouta-t-il en entourant d’un bras puissant les blanches épaules de sa rousse mie, Mais bon sang de pétard de merde, un peu de tenue !
- Voilà qui est édifiant et donne tout à fait envie de suivre ton exemple Anaïak Aïnak Bokhr ! sourit Tinky à travers des larmes d’émotion qu’elle ne cherchait plus à retenir.
- Ce que je veux dire, c’est que si Délian-Ka vous voit, ce n’est pas votre attitude qui va lui donner envie de revenir ! dit Niouk.
- Et comment veux-tu qu’elle nous voie ? demanda Innocent, Ses yeux sont fermés ! Je doute même qu’elle nous entende ! Si elle n’est pas encore poussière, ce n’est plus qu’une question de temps !
- Mais tais-toi, imbécile ! s’écria Tinky choquée et horrifiée.
- Imbécile ? répéta Wenn-Daha, Tu ne crois pas si bien dire ! C’est de ça qu’elle nous a traités ! « Vous me faites mal, bande d’imbéciles ! ». cita-t-il en ne cherchant plus à retenir ses larmes.
- Si vous l’avez entendue vous dire ça, c’est que vous êtes plus lucides que je ne croyais ! déclara méchamment Innocent, En fait, ce n’est pas elle que vous avez entendu ! C’est votre conscience ! Vous n’êtes qu’une bande de sauvages superstitieux ! Et je commence à en avoir assez que la survie de ma femme dépende de vos grigris et de vos psalmodies ! J’en ai assez qu’elle soit laissée aux mains d’incapables qui, bien que modernes, croient plus à vos simagrées qu’en la vraie science ! Je m’en vais signer de ce pas les décharges pour qu’elle sorte d’ici et je la fais transporter dans un hôpital digne de ce nom ! Je n’ai que trop tardé !
- Et peut-on savoir où tu comptes la faire admettre, grand nigaud ? demanda Tinky, se plantant devant lui, poings sur les hanches.
- N’importe quel établissement, même l’hôpital le plus vétuste sera plus à même de la soigner que le Barnum qui sert d’infirmerie à cette base ! décréta mon époux, odieux.
- Aucun hôpital, même le plus vétuste n’acceptera une Néanderthalienne dans ses murs et tu le sais très bien, Innocent Maxence ! rappela pertinemment Tinky, Les seuls hôpitaux où l’on pourrait accepter de la soigner sont les infirmeries lemerciennes où ces chacals font soigner leurs braves petits soldats ! Est-ce cela que tu envisages ? Réponds !
- Mon père était militaire ! répondit Inno, pensif et quelque peu décontenancé, Il a sûrement des accointances… Des gens bien, comme lui… Je pourrais faire passer Kanou pour ma domestique et ils nous aideraient…
- Innocent Maxence, moi vivante, Délian-Ka ne remettra plus les pieds dans une de ces succursales du sein putride de Taïa-Araakh ! gronda Tinky, Des gens bien, chez les Lemerciens, ça n’existe pas ! Ton père, certes, c’est un accident ! Et il y a aussi la petite Enah-Ghâr devenue le Général Caroline Durand qui travaille pour nous mais même de ceux-là, je me méfie, avec tout le respect que je leur dois et même si j’ai vu grandir Caro !
- Enfin, ça vaut le coup d’essayer, non ? insista Innocent, des larmes dans la voix, faisant un pas vers le lit comme s’il voulait m’en arracher.
- Pas question, Innocent ! riposta Tinky dont les yeux se mirent à briller d’une manière effrayante, Si tu la sors d’ici, tu la condamnes à mort ! D’abord parce qu’elle est intransportable ! Ensuite, parce que ton idée ne tient pas la route ! Qui voudra croire qu’un homme moderne est assez fou pour vouloir faire soigner une simple bonne dans une caserne ? Les hommes de ton temps changent d’effectif quand la domesticité n’est plus opérationnelle, tu le sais !
- Sans compter qu’il s’agit de blessures occasionnées par un ours et que le premier adjudant venu comprendra que les blessures de Kanou n’ont pas été reçues dans une confortable maison du XXX° siècle ni même sur un champ de bataille. objecta Wenn-Daha.
- Et puis tu oublies un peu vite que tu es recherché par toutes les polices de ton temps et de ton monde ! renchérit Niouk, Dès que tu auras fait un pas dans n’importe quelle caserne que ce soit avec Kanou dans les bras, c’en sera fini de vous… et de nous tous !
- Ah, il n’y a donc que ça qui vous intéresse ! persifla Innocent, Vos foutues bases et vos non moins foutus Gardiens des Siècles.
- Tu sais bien que non, Inno ! dit Tinky en posant une main sur son épaule, Nous agissons pour votre bien à tous les deux et nous avons raison, tu le sais !
- Tss ! fit-il en se dégageant, « Nous avons raison » ! « Nous avons raison ! » ! C’est tout ce que tu sais dire, toi ! Kanou me le répétait souvent ! Elle disait que cette phrase pourrait servir de synopsis à toute ton histoire ! Tu ne comprends donc pas que c’est pour ça qu’elle s’est laissée tuer par cet ours ? Parce qu’elle en avait assez de toi, de ton autoritarisme et de ta façon de vouloir tout régenter dans l’Univers comme dans sa vie ? Eh bien moi, c’est pareil, figure-toi ! J’en ai assez, plus qu’assez que de parfaits étrangers décident à ma place du sort à réserver à ma femme mourante ! Je veux la sortir de là et je le ferai quoi que vous en disiez et quoi qu’en disent vos soi-disant vision ! « Bande d’imbéciles » ! « Bandes d’imbéciles » ! Ha ! C’est plus que de la transcommunication, ça ! C’est de la lucidité ! Et lucide, je le suis aussi ! A partir de maintenant, c’est moi qui prends en main la destinée de ma femme ainsi que la mienne ! Il ne faudrait pas, sous prétexte que j’ai l’air d’un moderne, me considérer comme un sous-être qui n’a rien à dire ! »
Et sur cette virulente tirade, il bouscula mes amis et sortit à grandes enjambées de la pièce dont il claqua violemment la porte, au mépris de tout savoir-vivre

Un rare désaccord entre Tinky et Niouk.

Les cinq Néanderthaliens restèrent interdits pendant quelque instants, soufflés par cette tirade virulente, ces arguments inattendus et l’attitude franchement inqualifiable d’un Innocent à qui j’avais, finalement, pas mal de raisons d’en vouloir.
Certes, il prétendait m’aimer, mais sa manière de traiter l’engeance dont j’étais issue n’aurait su être tolérée. Comment pouvait-il aimer une femme et mépriser à ce point l’ethnie dont elle faisait partie ?
Tinky fut la première à réagir, qui se tourna vers son mari.
« - Niouk ! dit-elle, Je n’aime pas ça ! Et s’il allait mettre ses menaces à exécution ?
- Tu sais bien qu’il n’en fera rien ! assura Anaïak avec un sourire tranquille, A mon avis, c’est la douleur qui le fait raisonner comme un pauvre fou mais jamais il ne fera quoi que ce soit qui puisse être préjudiciable à Kanou !
- De toute façon, il pourra bien signer toutes les décharges qu’il voudra, Matthieu ne le laissera jamais sortir d’ici ! dit Naho.
- Je le connais, le père Matt ! renchérit Wenn-Daha, Quand il à dit non, c’est non !
- Il le fera plutôt enfermer dans une cellule capitonnée que le laisser faire n’importe quoi et mettre tout le monde en danger. reprit Enah-Ohar, confiant, De toute façon, je suis prêt à lui prêter main forte en rédigeant un rapport psychiatrique suffisamment épicé au sujet de Maxence pour qu’il reste au frais jusqu’à ce que Kanou se réveille ! ajouta-t-il, vachard, l’œil brillant de malice.
- Ouais, et même au-delà ! ronchonna Niya qui n’avait toujours pas digéré le fait de s’être fait coiffer au poteau par un demi-moderne, Et si tu pouvais t’arranger pour qu’il reçoive quelques bonnes piqûres calmantes dans le cul matin et soir, je me ferai un plaisir de les lui faire, non mais !
- Ça suffit, tous les deux ! gronda Anaïak, Par Moïa, en quelle langue faut-il vous dire de vous tenir correctement ici ? Vous ne brillez guère par votre solidarité, tous autant que vous êtes ! Vous ne comprenez pas que c’est la douleur qui le rend comme fou et qu’il ne pense pas un traître mot de ce qu’il dit ?
- Moi je ne sais pas ! dit Tinky, regardant ses ongles, pensive, Je n’ai pas vraiment apprécié la façon dont il nous a parlé ! Depuis que Kanou est dans cet état, on dirait qu’il nous en veut personnellement ! Que c’est notre faute !
- Alors que c’est à cause de lui que tout à commencé ! fit Wenn-Daha.
- Mais non ! dit Naho, Pourquoi parler des choses que tu ne connais pas, gros balourd ? Tu n’y étais pas ! Tu ne sais pas ce qui est arrivé ! En vérité, tout est la faute de ce foutu moderne ! Si elle n’avait pas décidé de le suivre, nous n’en serions pas là ! Ah, je n’aurais jamais dû le faire rentrer chez lui, celui-là ! Et surtout, lui faire tout oublier de son aventure ! J’aurais dû au moins faire en sorte que l’image de Kanou dans la neige reste imprimée dans sa mémoire afin qu’il en fasse, comme moi, des cauchemars toutes les nuits ! »
De mon perchoir, j’écoutai soudain avec une attention redoublée. Quel moderne ? Quelle aventure ? De quoi parlaient-ils ? Par Moïa, je ne comprenais plus rien !
« - En vérité, c’est plutôt ma faute ! dit tristement Niya, Si je n’avais pas balancé ce moderne à travers la Porte Irigoyen, elle n’aurait jamais été tentée de le suivre et…
- Et en raisonnant comme ça, on pourrait remonter la liste des contentieux jusqu’à Lucy, comme je l’ai déjà dit une fois ! l’interrompit Tinky, Nous avons déjà eu cette conversation des milliards de fois ! Tout le monde peut trouver quelque chose à se reprocher, dans ce cas-là ! A commencer par la mère de Kanou qui a eu la mauvaise idée de la mettre au monde, si on pousse le raisonnement jusque là !
- Oui, euh… alors là, tu exagères ! fit Anaïak, ne pouvant s’empêcher de pouffer.
- Mais c’est vrai ! insista Tinky en écartant les bras avant de les laisser retomber le long de son corps, dans un geste d’impuissance exaspérée, Au fond, ce qui compte n’est pas de savoir qui est le responsable de l’accident de Kanou ! C’est la faute à pas de chance, c’est tout ! Moi aussi, je suis tombée sur un ours qui m’a fait danser la valse, il y a quelques années ! Rien ne pouvait le laisser prévoir ! Mais si les membres de ma tribu avaient passé leur temps à se lamenter autour de ma litière en se demandant pourquoi on en était arrivé là, je ne serais certainement pas ici en train de vous raconter tout ça ! Les Moharn étaient ce qu’ils étaient, mais au moins, ils m’ont sauvée parce qu’ils se sont BOUGES, ACTIVES, MOBILISES pour me sortir de ma léthargie ! Et Kanou en premier ! Il serait peut-être temps que je lui rende la monnaie de sa pièce, qu’en pensez-vous ?
- Bon. Et que veux-tu que nous fassions ? demanda Enah-Ohar, perplexe.
- Que nous cessions immédiatement de ressasser le passé et que nous nous tournions résolument vers l’avenir, répondit l’impétueuse rouquine, emphatique. Le passé, c’est l’accident de Kanou et tout l’enchaînement d’événements qui l’ont rendu possible. L’avenir, c’est sa guérison ! Mais c’est aussi l’attitude de cet imbécile d’Innocent Maxence ! Je ne sais pas vous mais moi, il me glace le sang, ce type ! Peut-être qu’effectivement, son attitude s’explique par un trop grand chagrin mais là, je ne le sens pas ! J’ai peur qu’il ne pète vraiment les plombs ! Que ce soit justifié ou pas importe peu ! Je ne laisserai personne nous remettre en danger et surtout pas lui ! Il ne faut quand même pas oublier que ce gars est un métis de moderne et le fils d’un Lemercien ! Que Kanou l’ait aimé importe peu ! Kanou était… est une fille géniale mais elle a quand même un défaut de taille : elle tombe amoureuse toutes les cinq minutes ! Avant de sombrer, elle n’en avait plus que pour cette teigne d’Enemy Mine, rappelez-vous !
- Une toquade ! C’est tout ! » grommela Niya, croisant les bras sur sa poitrine velue et baissant la tête comme un enfant obstiné tandis que je m’interrogeais d’abondance.
Enemy Mine ? Ils avaient dit Enemy Mine ? Ce nom bizarre ne représentait rien pour moi !
« - Toquade ou pas, Innocent était fou de rage ! rappela Tinky.
- L’était pas le seul ! fit Niya sur le même ton, Et avoue quand même que c’était justifié !
- Eh bien justement ! dit Tinky, S’il était furieux au point de vouloir se venger ? Au point de se tourner vers ceux qui représentent à la fois ses propres racines et les pires ennemis de celle qui l’aurait trahi ! Au point de livrer Kanou aux Lemerciens pour la perdre et accessoirement, nous perdre tous !
- Ma parole, tu fais dans la tragédie grecque ! s’écria Wenn-Daha, Favoriser un génocide pour se venger d’une partie de jambes en l’air, ça fait cher payé, tu ne trouves pas !
- Oui, eh bien rappelle-toi l’histoire d’Hélène de Troie ! C’est à peu près ça, non ? dit Tinky, impayable, Je veux qu’on surveille ce type, vous entendez ? Je le crois capable de tout et de son contraire !- Ma Tinky que j’aime et que j’adore, je crois que tu exagères un peu ! dit Niouk en prenant son épouse par les épaules, Si Inno avait voulu se venger de Kanou, il y a sûrement longtemps qu’il l’aurait fait ! En la débranchant lorsqu’il allait lui rendre visite au départ, par exemple !
- Mais c’est que j’ai toujours veillé à ce qu’il ne se retrouve jamais seul avec elle ! insista Wang-Ka, Je vous jure que je l’ai souvent observé à la dérobée… Il avait l’air bizarre ! Il aurait dû être effondré en la regardant or là, il avait un air de loup affamé !
- Tu sais, Tinkynou, commença Anaïak, en tant qu’ancien élevé parmi les modernes, je peux te dire que l’attitude d’Innocent est peut-être tout simplement le fruit de son éducation rigide ! Ce n’était certes pas le cas chez les de la Renardière, mais je puis t’assurer que dans bien des familles, si on encourager les filles à se pâmer, pleurnicher ou se comporter comme de ravissantes idiotes, on exigeait très tôt que les garçons se conduisent « comme des hommes » et qu’ils refoulent leurs émotions.
- Je sais comment se comportent les gens du XXX° siècle ! déclara Tinky, énervée, Je vous aime tous beaucoup mais dois-je vous rappeler que j’ai été la première de tous à découvrir le fonctionnement de ces êtres et à composer comme j’ai pu avec des gens aussi tordus ! C’est bien pour ça que j’ai peur et que je n’ai aucune confiance en ce fichu Maxence de merde ! Je n’ai jamais eu beaucoup de considération pour lui mais là, c’est pire que tout !
- Si Kanou était éveillée, elle te dirait que tu n’aimes jamais les gens qu’elle aime ! sourit Naho
- Mais l’aimait-elle encore ? s’interrogea Tinky, Ce n’est peut-être pas pour rien qu’elle s’est ainsi jetée dans les bras du premier venu !
- Tu l’as dit toi-même : elle tombe amoureuse toutes les cinq minutes ! rappela Niouk.
- Certes mais ce n’est quand même pas une nympho ! dit Tinky, Elle savait se tenir !
- Ouais ! On a vu ça avec Square ! ricana Wenn-Daha.
- Elle était adorable mais peut-être bien qu’elle pétait un peu les plombs de temps en temps ! insista Niouk, une main reposant toujours sur l’épaule de Tinky, l’autre grattant pensivement ses cheveux hérissés.
- Ne parle pas d’elle à l’imparfait ! dit Tinky, Je connais Kanou ! Nous avons grandi ensemble ! C’est un être qui a toujours été en quête d’amour et d’affection ! Peut-être qu’elle n’en recevait plus assez de la part d’Innocent !
-Vrai que, depuis quelques temps, elle n’avait pas l’air très heureux ! dit Niya, Peut-être qu’il n’était pas à la hauteur, ce moderne !
- Peut-être Kanou avait-elle de bonnes raisons de partir prendre l’air ! Peut-être Innocent n’est-il pas étranger à son accident ! conjecturait Tinky.
- Dites donc, vous deux ! dit Anaïak, Vous croyez que c’est avec des « peut-être » que vous allez tout solutionner ? Je vous soupçonnerais bien d’être un peu paranos, quand même ! Admettez que Kanou a quand même mal agi et qu’il est peut-être normal qu’Innocent soit un peu furieux contre elle ! De là à affirmer qu’il a voulu la tuer et le désire encore ! De là à trouver des excuses à Kanou ! Admettez que ça faisait un moment qu’elle nous rebattait les oreilles de son Enemy Mine et que ce qui est arrivé ne pouvait que se produire, vu les circonstances ! Par Moïa ! Ce n’est pas que je sois un homme jaloux mais je n’apprécierais peut-être pas que Tinky me plante à la veille de Noël pour aller se faire culbuter dans les fourrés par Russel Crowe ou Brendan Fraser !
- Eh, mais il n’a jamais été question de ça ! dit Tinky, rosissant délicieusement.
- Je sais bien. dit Niouk, Ce n’était qu’une supposition. Mais allons jusqu’au bout du raisonnement : si une chose pareille devait arriver, je serais certainement furieux, mais pas au point de la tuer !
- Tu sais ce qui te reste à faire, Tink ! pouffa Naho, faisant encore plus rougir notre amie d’enfance.
- Tais-toi, pauvre idiot ! se fâcha Niouk, Ce que je veux dire – à supposer qu’on me permette d’arriver à le formuler sans m’interrompre bêtement – c’est qu’Innocent doit avoir très envie de demander des comptes à sa femme et c’est bien compréhensible ! Et pour cela, il doit attendre qu’elle se réveille ! Je ne vois donc pas pourquoi il irait attenter à sa vie, surtout maintenant qu’elle n’a plus besoin de machines pour la maintenir en vie ! Nous tenons le bon bout ! Nous savons tous que Kanou va s’en sortir même si nous ignorons dans quel état elle va poursuivre son chemin ! Mais bon ! Il est un peu normal que les nerfs de ce pauvre Inno finissent par lâcher ! C’est souvent comme ça que les choses se passent ! Quand on a trop longtemps attendu qu’un miracle se produise, on se sent comme déprimé, désarmé au moment ou le prodige se réalise enfin ! Tout ça pour vous dire que ce n’est pas du tout le moment de se détourner de ce pauvre gars ! Il a au contraire besoin de notre soutien, de notre amitié ! Et quand il se met à déraisonner de la sorte, mieux vaudrait parler calmement avec lui que le blackbouler de la sorte !
- Eh bien vas-y donc, lui faire la conversation ! dit Tinky, Moi, il me glace ! Et je n’ai pas l’intention de laisser Kanou risquer de se retrouver seule entre ses griffes !
- Bon. fit Niouk, sans s’énerver, Et qu’est-ce que tu proposes ? Qu’on veille sur elle à tour de rôle comme au début de son coma ?
- Non. répondit-elle, Je vous propose mieux que ça : son esprit est tout proche ! Je le sens encore dans la pièce. Elle est restée à nous écouter au lieu de profiter de la confusion pour fuir, preuve qu’elle a encore de la curiosité pour son existence présente et qu’elle souhaite revenir à la vie, même si elle est persuadée du contraire ! En vérité, elle ne peut pas sortir d’ici ! Elle est condamnée à rester près de son corps jusqu’à ce que mort s’ensuive à moins qu’elle ne consente à y retourner, ce qui lui permettra enfin de sortir de sa léthargie ! Il faut l’aider, mes amis ! Il faut la persuader de s’incarner à nouveau dans son enveloppe charnelle ! Il faut la persuader qu’une telle chose est indispensable ! »

vendredi 1 août 2008

Le très long voyage de l'âme de Délian-Ka... Écrit par Mimi.

Et tout de suite la suite... Je suis obligée de faire des articles courts, parce que sinon les annonces publicitaires du blog se retrouvent au milieu du texte sous forme de pavés gris... C'est inesthétique et malcommode pour les lecteurs ! Petite précision, Tinky est le surnom de Wang-Ka, une des amies de Délian-Ka.

24 février 3001.

Une séance de patterning qui tourne au channeling.

Le lendemain, d’autres infirmiers d’origines et d’époques diverses se succédèrent à mon chevet. De nouveau on me lava et on me soigna apportant un soin tout particulier aux escarres qui menaçaient de faire leur apparition.
Puis, dans la journée, je ne fus pas peu surprise de voir mes plus proches amis débarquer dans la chambre.
Evidemment, j’étais surprise. Je savais que Tinky était devenu un médecin très apprécié mais ça n’expliquait pas la présence des autres, d’autant que l’accès à cette pièce était strictement interdit à toute personne étrangère au service.
Je vis Wang-Ka retirer la couverture de sur mon lit. J’observai avec plus d’attention encore, me demandant ce que ces démons allaient encore me faire.
Je compris très vite lorsque je vis qu’ils se mettaient à manipuler mes membres avec douceur me forçant à bouger et me parlant sans cesse.
A supposer que je n’aie jamais mis les pieds dans une base inter temporelle, jamais rencontré le moindre moderne ni entendu parler de patterning, j’aurais très bien compris ce qu’ils cherchaient à faire. Mine de rien, cette invention était beaucoup plus ancienne qu’on le croyait. Même chez les Moharn, on s’acharnait à ramener à la vie tout grand blessé que les Esprits n’avaient pas jugé bon de rappeler à Eux ! Et d’une façon pratiquement identique, en plus !
Je les regardais faire, curieusement fascinée. Il y avait là Naho, Niya, Tinky, Wenn-Daha, Anaïak et Innocent, exactement comme le jour où ils avaient cru découvrir mon cadavre dans la neige.
C’était eux qui avaient constaté que je n’étais pas morte ; c’était eux qui se croyaient investis du devoir de me ramener à la vie.
Naho et Niya, oublieux de toutes leurs anciennes querelles, manipulaient patiemment mes membres inférieurs, les pliant et les dépliant alternativement comme pour simuler un mouvement de marche. Tinky et Niouk se chargeaient de mes bras, apportant un soin tout particulier à mes poignets et à mes doigts qu’ils faisaient bouger avec une grande délicatesse. Wenn-Daha tenait ma tête entre ses mains et lui faisait exécuter de très lents et très prudents mouvements de rotation. Innocent, quant à lui, se contentait de m’effleurer le visage du bout des doigts, m’adressant inlassablement de très gentilles phrases d’encouragement et autres déclarations d’amour.
Sa peine et sa tendresse avaient beau paraître sincères, elles suscitèrent chez moi une très vive répulsion. Je m’aperçus que je ne savais plus pourquoi je lui en voulais mais que je lui en voulais profondément ! Si jamais je me décidais à revivre, ce ne serait certainement pas pour lui ! Qu’on ne me demande pas pourquoi !
Je reportais mon attention sur mes amis plus archaïques (comparés à Innocent et non à moi) et me surpris à redouter qu’ils ne me fassent mal à me triturer ainsi. Cela aurait pourtant dû me laisser indifférente puisque je ne voulais plus entendre parler de cette vie-là, mais tout de même…
Je me voyais, en bas, si loin, incapable de résister à leurs manœuvres, les yeux clos, les lèvres sans couleur, semblant vouloir rentrer à l’intérieur de ma bouche entr’ouverte d’où s’échappait en permanence une plainte à fendre l’âme, le teint blafard, la tête renversée en arrière, à la merci d’un faux mouvement de ce grand dadais de Wenn-Daha !
J’ignorais si je geignais par réflexe, par habitude ou de douleur véritable mais une légitime indignation s’empara de mon esprit.

Contact.

« - Vous me faites mal, bande d’imbéciles ! » pensai-je, méprisante.
Mais je ne m’étais plus rappelée qu’il n’y a pas de différence entre une pensée virulente et un propos hurlé, lorsque l’on est réduit à l’état de simple fantôme ! Et je n’avais pas prévu que mes sorciers d’anciens amis me percevraient si aisément !
Wang-Ka, bouleversée, lâcha mon bras qui retomba comme une branche morte sur le lit.
« - Elle est ici ! s’écria-t-elle d’une voix curieusement aiguë qui se brisa lorsqu’elle porta ses mains à son visage blême.
- Quoi ? fit Innocent, glacial, Qu’est-ce qui est ici ?
- Mais Délian-Ka ! répondit Tinky, se ressaisissant un peu, Délian-Ka est ici !
- Évidemment qu’elle est ici ! rétorqua Innocent, me désignant d’un bref mouvement de menton avant de toiser mon amie comme si elle était folle. »

Continuation du coma de Délian-Ka, toujours les écrits métaphysiques de Mimi.

Délian-Ka continue son drôle de trip dans les limbes... On ne se remet pas comme ça de la java avec une ourse !!!

23 février 3001.

Unité de soins intensifs de la base inter temporelle Gamma.

L’endroit était plongé dans un profond silence. Un seul lit était occupé. Par un être immobile, livide et décharné en qui j’eus bien du mal à reconnaître la femme que j’avais été, il n’y avait pas si longtemps.
« - Oh, mon Dieu ! » murmurai-je, m’approchant de ce quasi-cadavre.
Je revenais toujours à cette locution typiquement française et moderne lorsque j’étais la proie d’une émotion intense. Je m’étonnais d’ailleurs de récupérer si vite des réflexes purement humains et, si j’ose dire, purement « Déliankanesques ».
La femme allongée dans le lit, cette femme qui avait été moi, n’avait plus que la peau et les os. Ses cheveux autrefois opulents paraissaient ternes, fragiles et rares, comme les cheveux d’une très vieille femme. A ma grande surprise, elle respirait sans aide et n’était branchée à rien. Ça n’avait pas toujours dû être le cas.
Je ne voyais pas son corps, caché par une sorte de couverture de survie brillante remontée jusqu’à ses épaules qui pointaient sous la chemise de nuit bleue qu’on lui faisait porter comme si elles voulaient la trouer ! J’étais étonnée d’avoir perdu tant de poids et tant de muscles en deux mois seulement. Dans quel état cette maudite ourse avait-elle dû me laisser ?
Mes bras reposaient sur la couverture, inertes et presque entièrement recouverts de bandages stériles. Le gauche recevait la perfusion qui devait me permettre de me nourrir et d’absorber malgré moi des antibiotiques à forte dose. Mon cou, lui aussi, disparaissait sous une sorte de pansement complexe que j’avais pris au premier regard pour une minerve. Je me rappelai alors avoir cru que l’ourse m’avait arraché la tête. Nous n’en étions visiblement pas loin. Les gens du XXX° siècle avaient pu me sauver en dépit d’une blessure pareille ! C’était incroyable ! Leur technologie était tout de même extraordinaire ! Même dans l’état où je me trouvais, j’étais un véritable miracle de la science ! Un demi-siècle plus tôt, je serais sûrement morte d’une telle étreinte !
Je me rappelait aussi qu’après l’attaque de l’ourse, je m’étais retrouvée projetée hors de mon corps et n’avais vu ce dernier qu’allongé sur le ventre, à même la neige. C’est pour ça que je m’étais crue morte. Et mes amis l’avaient cru aussi, qui projetaient de m’enterrer ! C’est au moment où ils m’avaient retournée sur le dos pour me laver que j’avais perdu le contact. J’avais ressenti une douleur. J’avais souffert en tant qu’esprit mais aussi, et surtout, en tant que corps ! Peut-être avais-je gémi ! Crié ! En tout cas, mes amis n’avaient pas dû être peu surpris quand ils avaient dû constater que je vivais encore ! Il fallait croire que j’avais la vie singulièrement chevillée au corps !
Je découvris aussi, avec une satisfaction qui m’étonna moi-même que, contrairement à ce que j’avais cru, je n’étais pas défigurée. Ça non plus, je ne le savais pas puisque, la dernière fois que j’avais vu mon corps, mon visage était profondément enfoui dans la neige souillée de mon sang. Je m’étais attendue à avoir la figure littéralement arrachée ; ce n’était pas du tout le cas. Il était même pratiquement intact bien que plus émacié et comme endurci par la douleur. Seule une balafre en virgule sur ma joue droite, assez près de l’œil, était visible. En la contemplant, je me dis que si je survivais à cette épreuve, je pourrais toujours me recycler dans la publicité pour une marque de chaussures et de vêtements de sports qui avaient fait les beaux jours de la fin du XX° siècle et dont le logo ressemblait furieusement à cette cicatrice encore pourpre.
Mais il n’était pas du tout question que je survive ! J’étais venue ici pour abréger mes souffrances de mortelle avec l’aide de celle qui avait été ma grand-mère ! Et ce que je venais de découvrir ne m’incitait pas du tout à changer d’avis.
Alors que je me tournais vers Ida pour lui demander ce que je devais faire, je m’aperçus, épouvantée… qu’elle n’était plus là !
Piégée comme une bleue… par une bleue !
Affolée, je me mis à voleter à toute vitesse autour de la pièce, appelant ma grand-mère qui, bien sûr, s’était fait la malle depuis un bon moment déjà !
La malhonnête ! Elle avait fait semblant d’accepter ma proposition pour mieux pousser mon âme à revenir traîner près de mon corps ! Puis elle était partie ! Lâchement ! Silencieusement ! Profitant d’un moment de fascination bien légitime de ma part !
A présent, elle devait se trouver dans le cœur de Moïa, bien peinarde ! Bien tranquille et satisfaite d’avoir accompli sa mission ! Peut-être avait-elle enfin obtenu l’autorisation de se réincarner ! C’était ignoble ! Injuste ! Elle n’avait pas le droit !
Je finis par cesser de tourner inutilement autour de la pièce comme une mouche, revins me poster près de mon corps et tentai de réfléchir plus calmement.
Après tout, c’était moi qui avais lancé la première l’idée de revenir errer parmi les vivants, près de cette carcasse qui avait été la mienne et qui se refusait à trépasser. Peu importait alors le prétexte que j’avais invoqué. Était-il possible que j’aie manifesté un désir inconscient de revenir à la vie ? Mon corps, apparemment si mal parti était-il en train de me rappeler à lui ?
Je m’observais une fois encore et ne pus m’empêcher d’en douter. Dire que j’étais plus morte que vive n’avait rien d’une métaphore. Je n’en pouvais manifestement plus. Je n’osais imaginer ce qui se cachait sous la couverture et sous les pansements, particulièrement celui qui protégeait mon cou. Je me rendis compte que, lorsque je respirais, je produisais un drôle de petit bruit, un bruit de tuyauterie comme j’avais dit une fois. Une sorte de petit ronflement douloureux et encombré, assorti de temps à autre d’un faible gémissement à peine audible mais pitoyable.
Il était évident que cette enveloppe charnelle souffrait, que je ne voulais pas souffrir et que, par conséquent, je ne voulais pas retourner dans ce corps-là ! Les choses allaient vraiment trop mal et ce n’était qu’un début : ensuite viendrait –peut-être– le réveil, la réanimation, la rééducation… Si ça se trouvait et comme je l’avais déjà dit à Ida, je ne pourrais peut-être plus marcher ou parler et il y avait en plus cette histoire de grossesse.
Je ne voulais absolument pas courir le risque d’endurer toutes ces épreuves. J’allai me coller au plafond et attendis la suite des événements.
De l’endroit où je me trouvais, j’étais suffisamment loin pour ne pas risquer de me retrouver incarnée de force. Je ne pouvais toutefois m’empêcher d’observer mon corps sous toutes les coutures mais je m’aperçus bien vite que je n’étais pas la seule dans ce cas.

Les indésirables (1).

L’unité de soins intensifs de Gamma est bien évidemment inaccessible au public mais une grande baie vitrée la sépare d’un couloir depuis lequel les proches d’un malade peuvent venir lui rendre visite, l’observant sans le déranger d’aucune manière. Avisant un groupe de personnes derrière cette vitre, je conclu que ces gens étaient sûrement venus pour moi puisque j’étais la seule patiente dans la pièce. Civilisée malgré tout, je me laissai gracieusement glisser jusqu’à terre et m’approchai d’un pas léger.
Je fus véritablement furieuse de constater que les visiteurs n’étaient ni des amis ni des membres de ma famille mais un groupe de préhistoriens connus venus observer le spécimen en toute impunité !
« - Bande de vautours ! m’écriai-je, Vous n’avez pas honte ? C’est une unité de soins intensifs, ici ! Pas un zoo ! »
Évidemment, ils n’entendirent rien ! Pas même lorsque je frappai du plat de mes mains sur le verre, ou plutôt le plastométal transparent qui m’isolait de ces êtres si peu scrupuleux. Je fus moi-même surprise de n’entendre aucun bruit. Je me rappelai alors que j’étais un fantôme et cela ne fit qu’augmenter ma perplexité.
Puisque j’étais un fantôme, j’aurais dû pouvoir passer à travers le plastométal. Voire à travers les murs ou la porte de cette pièce. J’essayai aussitôt mais en vain.
Non seulement je ne passais plus à travers les éléments solides, mais en prime, je ne pouvais guère m’éloigner du corps inerte allongé dans le lit. J’avais beau faire, il m’attirait inexorablement. J’avais l’impression que quelque chose me maintenait attachée à lui. Je me sentais comme un animal en laisse ! Un premier contact semblait renoué, c’était le cas de le dire !
C’était bien ma veine ! Je n’avais le choix qu’entre deux options : me résoudre à regagner cette enveloppe charnelle qui refusait de mourir et mettre ainsi un terme à sa léthargie ou bien attendre sagement que cette machine de chair et de sang cesse de fonctionner pour être enfin libre.
Je préférais encore choisir cette solution-là et remontai au plafond afin de m’observer de nouveau, comme les modernes qui étaient restés derrière leur vitre à me lorgner sans scrupules.
Seule une femme-écrivain d’origine américaine à la silhouette rebondie avait choisi de s’en aller, prétextant un mal de tête soudain.
En voilà une qui était plus intuitive qu’on ne pensait !

Les indésirables (2).

Alors que je regardais mon corps allongé juste au-dessous de moi, j’avisai une sorte de lumière d’un vert tirant fortement sur le jaune qui pulsait paisiblement au niveau de mon plexus solaire. Je crus pendant un instant qu’il s’agissait d’une lampe qui se reflétait sur la couverture de survie mais lorsque la nuit tomba et que la chambre fut plongée dans une obscurité quasi-complète (seule une petite veilleuse diffusait à présent une lueur orangée semblable à celle de braises mourantes). je vis que cette lumière paraissait plus intense encore.
J’observai un peu mieux et compris très vite : c’étaient les bébés et l’énergie qu’ils dégageaient qui produisaient cette lumière visible seulement par un esprit tel que moi. Je regardai un peu mieux et réalisai qu’en fait, la lumière était d’un vert intense et que plusieurs taches plus claires, plus jaunes s’y mouvaient lentement, générant cette impression de pulsation. Leur forme grossière évoquait celles de fœtus, voire celle des fameux cocons de renaissance dont ont m’avait si cruellement sortie.
Effectivement, je distinguai plusieurs taches. Deux, en fait… Et peut-être même… Peut-être même TROIS !
Je me collai au plafond avec plus de conviction encore ! Si j’avais des raisons de ne pas vouloir vivre, elles n’était rien comparées à cette nouvelle découverte ! Me retrouver enceinte alors que j’étais entre la vie et la mort était déjà une chose terrifiante. De jumeaux, c’était encore plus effrayant ! Mais de TRIPLÉS ! C’était littéralement impensable !
Même en pleine forme, je n’aurais pas été capable de mettre au monde et d’élever trois enfants à la fois alors pensez donc… Dans cet état-là ! J’aimais les enfants, mais il y avait des limites !
Mon âme passa la nuit agrippée au plafonnier, maudissant Moïa et les tours pendables qu’Elle me jouait ! Je trouvais vraiment cela de très mauvais goût ! Comment voulait-Elle que je me rétablisse dans des conditions pareilles ?
Une pensée horrible me hantait : « - Ils me mangent de l’intérieur ! ». Et c’était sûrement ça, d’ailleurs ! Sinon, comment expliquer la maigreur cadavérique qui était à présent la mienne ? Et la survie complètement inattendue de ces petits malheureux ?
J’en vins alors à penser que c’était sûrement ça, la volonté de Moïa : j’allais survivre le temps que ces enfants se développent en moi, j’allais leur servir littéralement d’incubateur, les porter, les mener à terme, les mettre au monde puis je mourrais, épuisée. Après quoi Moïa Se chargerait de leur destin. Ce n’était plus mon affaire.
Bah, c’était un marché honnête. Encore quelques lunes de patience et de souffrance et je retournerais au sein de Moïa.
Je me détendis quelque peu et attendis.

Cette nuit-là…

Le moins que l’on puisse dire est que l’on s’occupait bien de moi.
Plusieurs fois, dans la nuit, une jeune infirmière d’origine rakhéï que je ne connaissais pas vint prendre soin de moi avec un dévouement au sujet duquel il n’y avait rien à redire : elle changea à plusieurs reprises ma chemise de nuit trempée de sueur et je pus alors voir à quel point mon corps était massacré et amaigri. Cela me donna encore moins envie de le regagner.
On ne distinguait par contre rien de ma grossesse qui n’était pas encore suffisamment avancée.
La jeune infirmière changeait donc fréquemment mes vêtements mais aussi l’espèce de couche qui m’empêchait de me souiller. Elle vérifiait aussi la sonde qui me permettait d’uriner. Moïa ! J’avais sacrément dégénéré, cette fois ! Elle me lavait avec patience et douceur, sans chercher à savoir si j’étais une Moéha ou une Rakhéïa, si je descendais ou non d’Atlante… Je dois avouer qu’en l’observant, j’avais un peu honte de certaines de mes réactions passées.
Il lui arrivait aussi de glisser un bras derrière mes épaules pour me forcer à m’asseoir et me faire boire quelques gorgées d’eau. Il n’était alors pas rare que je m’étouffe et lui crache involontairement dessus. Elle m’essuyait alors gentiment le visage, sans faire montre de la moindre impatience ni de la plus infime répulsion, puis s’essuyait aussi, m’expliquant que je devais me réhabituer à ce genre de réflexe tout simple si je voulais un jour redevenir comme avant !
Redevenir comme avant ! Belle foutaise !
N’empêche ! Aurais-je été capable d’en faire autant si j’avais été l’infirmière et elle la malade ?

Suite de l'extrait très métaphysique de notre saga, écrit par Mimi.

Février 3001.

Résurgences.

Les ancêtres de Kanou.

L’histoire avait commencé comme une autre saga célèbre : il y avait longtemps, bien longtemps, sur une planète lointaine, très lointaine... Une planète qui ne s’appelait pas encore Silna, mais Séléna. Couverte de vignes, de vergers, de montagnes majestueuses aux sommets couronnés de neiges éternelles, cette planète dont le sol regorgeait de minerais précieux était un véritable jardin d’Eden. Mais un jardin d’Eden qui aurait bénéficié de la technologie la plus avancée. Bref, la Civilisation dans tout ce qu’elle peut avoir de plus idéal.
Malheureusement, il est bien connu que les gens heureux n’ont pas d’histoire et la trop prospère planète finit un jour par souffrir de pollutions multiples et de surpopulation. Cela donna lieu à des exodes massifs, à des colonisations intempestives, puis à des guerres épouvantables. Il fut donc décidé que la plupart des Séléniens allaient partir dans l’espace pour s’établir ailleurs.
Les candidats à l’expatriation étaient nombreux. Il s’agissait en général de gens pauvres, ruinés ou désespérés à qui Séléna n’avait plus rien de bon à offrir. Mais justement, les Hautes Instances qui avaient tout planifié voulaient expédier vers d’autres planètes leurs plus glorieux représentants : des gens jeunes, en pleine santé, riches et beaux (selon les critères séléniens, bien sûr ; il faut aimer les grandes asperges bleues et reptiliennes). Bref, ce furent tous les aînés des nobles familles séléniennes qui furent désignés d’office pour aller conquérir des mondes nouveaux.
S’il y eut bon nombre de déceptions parmi les gens du peuple, bien des nobliaux poussèrent de hauts cris devant cette décision arbitraire. La plupart d’entre eux aimaient leur planète malgré ce qu’elle était devenue, chose dont ils n’avaient pas à souffrir puisqu’ils vivaient dans l’opulence et l’oisiveté. Ils ne souhaitaient donc rien y changer, surtout pour aller coloniser des mondes inconnus. Parmi eux, un jeune vicomte du nom de Kaïos Arkos, promis à devenir le suzerain du Comté d’Arkopolis et nullement décidé à céder ses prérogatives à son frère cadet (et handicapé, de surcroît) pour aller guerroyer dans l’espace.
Ce très lointain ancêtre du Roi d’Andropolis chercha longtemps comment échapper à son destin. Il réalisa alors que l’un de ses plus fidèles sujets lui ressemblait comme deux gouttes de vin bleu d’Altaïr une fois bien habillé et bien coiffé. Ce vassal s’appelait Mirkos Onas. Avec l’aide de ses parents qui ne voulaient pas davantage le voir partir, Kaïos fit donner au jeune roturier des leçons par hypnopédie afin qu’il apprenne à se comporter exactement comme lui.
Le stratagème marcha à merveille mais une fois Mirkos parti à sa place, le vicomte Kaïos s’aperçut, un peu tard qu’il n’avait plus sa place sur Séléna où il était censé ne plus ce trouver ! Il fut bel et bien obligé de laisser son contrefait de frère gouverner à sa place. Faute de mieux, il se résolut à remplacer son vassal comme son vassal l’avait remplacé, emprunta l’identité de Mirkos Onas et partit vivre dans la petite maison que le jeune roturier occupait avec ses parents.
Tout le monde étant dans la confidence, chacun joua le jeu à la perfection. Jusqu’à ce que cet imbécile de Kaïos ne trouve rien de mieux à faire que tomber amoureux de Maïa Onas, la propre mère de son remplaçant ! Il faut dire que c’était une femme d’une grande beauté – toujours selon les critères séléniens ! – et qu’elle se sentait bien triste depuis le départ de son fils légitime qu’elle idolâtrait. Elle tomba donc sans grand mal dans les bras de celui qui restait malgré tout le seigneur des lieux. Cette passion contre nature les mena directement à leur perte !
Les deux tourtereaux finirent par être repérés et comme leur comportement n’était tout de même pas très normal pour une mère et son fils, le pot aux roses fut découvert. Furieuse d’avoir été ainsi ridiculisée, la Garde Sélénienne condamna les parents de Mirkos à la mort par désintégration publique pour avoir donné le jour à un usurpateur sacrilège et prêté assistance à un poltron.
Puis, comme on ne condamne pas les nobles gens à mort chez ces extraterrestres bleuâtres et reptiliens, la Garde se contenta de faire embarquer Kaïos dans le premier vaisseau venu. Il y devint le souffre-douleur de tout l’équipage et même l’objet de la concupiscence du Capitaine maître à bord après les Dieux, au point qu’il finit par devenir fou-furieux et par tuer tout le monde là-dedans ! Après quoi il se lança à la recherche de Mirkos qu’il tenait pour responsable de tous ses malheurs. Non mais quel culot que celui des membres de cette famille Arkos ! Ça fait quand même un bon moment que ça dure !
Au bout de plusieurs dizaines d’années relatives,  Kaïos finit à force d’errance et de patientes recherches par retrouver et arraisonner le vaisseau dont Mirkos était finalement devenu capitaine. L’ancien roturier qui ne savait rien de ce qui s’était passé sur son monde natal ne se méfia pas et invita à son bord celui qu’il prenait pour son plus vieil ami. Cela lui valut de se faire embrocher sur un sabre et de mourir avant même d’avoir compris pourquoi !
Après quoi, Kaïos qui avait caboté dans tout l’espace à bord d’un vieux vaisseau fatigué s’arrogea le commandement de ce nouvel appareil et fit même main basse sur Elena, la jeune épouse de Mirkos dont le premier oeuf attendait patiemment d’éclore dans un vivarium. Une chance que Kaïos ne l’ait jamais trouvé, celui-là car je n’aurais pas eu d’ancêtre direct ! Du moins, Kanou n’en aurait pas eu !
Bien décidée à tuer l’ignoble assassin de son époux tout en protégeant son cher oeuf, hâtivement caché, Elena fit mine de céder à Kaïos, attendant le moment opportun pour verser dans son hanap un de ces poisons dont elle était experte. Mais Kaïos était méfiant et il avait réussi à s’attirer la sympathie de certains membres de l’équipage. Elena ne put agir aussi efficacement que prévu. A trop attendre, elle finit par se retrouver avec un nouvel oeuf dans le ventre.
C’est peu de temps après l’avoir pondu qu’elle réussit enfin à empoisonner son infâme compagnon mais ce dernier, qui avait du répondant, réussit avant de mourir à la forcer à boire aussi ! Ils périrent lamentablement dans une étreinte pathétique, lui essayant de l’étrangler alors qu’elle tentait de l’énucléer mais ce fut le poison qui eut raison d’eux. Ne restèrent plus que les deux oeufs qui finirent par éclore à quelques mois d’intervalle. On éleva le petit Arkos comme un noble et le petit Onas comme son serviteur mais la légende voulait qu’il y ait eu confusion entre les deux.
Confusion ou pas, les deux frères furent à l’origine de deux lignées plus ou moins ennemies qui, bien des siècles plus tard, devaient encore conclure un pacte dangereux en unissant bien malgré eux Hélios Arkos Roi d’Andropolis et Ida Onas richissime roturière. On connaissait la suite... Je l’eus pourtant en tête dans les moindres détails, crus revivre mon enfance et ma jeunesse puis perdis de nouveau le fil. J’avais fait le tour de tout, je pouvais passer à autre chose. ...
N’empêche, j’ai de drôles de façons de revisiter les mythes du jardin d’Eden, du fruit défendu, de l’Exode ainsi que de Caïn et Abel, moi !

Les cocons de renaissance.

« - Tu dois impérativement retourner dans ton corps ! »
La voix semblait venir de très loin. Elle était presque imperceptible et ressemblait plus à un grésillement ténu qu’à un véritable appel. Elle réussit toutefois à me tirer d’une douce torpeur dans laquelle je me croyais plongée depuis des siècles entiers,  ce qui, d’ailleurs, était peut-être le cas. Qu’est-ce que le temps, dans l’au-delà ? Quelle valeur a-t-il ?
Je me rendis compte que j’avais de nouveau le sentiment d’être une conscience pleine et entière. J’avais même l’impression d’avoir repris forme humaine. J’étais recroquevillée sur moi-même, la tête en bas mais si bien dans cette position dite fœtale ! Mais au fait, peut-être étais-ce précisément cela ? Peut-être étais-je redevenue un fœtus ? Peut-être m’étais-je déjà réincarnée ?
Non, c’était impossible car je baignais dans une douce lumière à la fois plus forte et plus douce que celle de la lune. Les fœtus de chair et de sang se trouvent vraisemblablement dans le noir le plus complet. Je savais néanmoins que j’attendais de renaître, coincée dans un doux cocon de lumière et d’énergie dont je devinais, sans trop savoir pourquoi, qu’il avait la forme caractéristique d’un haricot. Je me sentais bien dans cette espèce de divin utérus. J’aurais pu y rester une éternité ! C’était probablement ce qui allait se produire, d’ailleurs. Une nouvelle vie se profilait devant moi mais je savais, je sentais que rien n’était pressé et je voyais arriver mon destin avec une intense sérénité, goûtant cette lenteur extrême comme un cadeau suprême
Étrange réaction de la part d’une personne dont la patience n’avait jamais été la principale vertu, de son vivant. Étrange aussi que je me souvienne de ma précédente existence, moi qui avais été si contente de la laisser derrière moi.  Étrange, étrange… Et combien exaspérante était cette petite voix qui ne cessait de tournoyer autour de la tête que je n’avais pas encore en me répétant à satiété que je devais retourner dans mon corps ! Je n’avais plus de corps ! L’ourse l’avait déchiqueté ! A supposer que ce corps-là ait encore existé, il devait être si souffreteux, si abîmé que je ne voulais surtout pas y replonger !
« - Mon enfant, tu as compris la vérité ! Ton corps existe encore ! Délian-Ka n’est pas morte ! Elle ne fut que blessée. Si gravement blessée que Moïa Elle-Même t’a crue morte un instant mais il n’en est rien ! Tu dois sortir de ton cocon de renaissance, Kanou ! Tu mènes déjà deux vies de front ! Tu ne saurais en assumer une troisième ! »
Cette fois, il n’y avait plus seulement la voix (tellement proche de moi qu’elle semblait directement sortir de ma tête) mais aussi un minuscule point lumineux qui tournait autour de moi en  grésillant, insupportable petite braise de nacre, petit photon insolent, exaspérant moucheron lumineux qu m’empêchait de me concentrer sur mon futur destin. J’avais pourtant cru apercevoir des images de la vie qui m’attendait. Une petite fille aux longues boucles brunes. Un cheval. Le ciel bleu de la Terre. Des illusions ?
« - Tu ne dois plus penser à tout cela ! insista la petite voix lumineuse, Une erreur a été commise. Avec vos fichus voyages dans le Temps, tu te trouvais sur deux plans en même temps et Moïa n’a pas perçu tout de suite ce qui t’arrivait ! Tu dois sortir de ce cocon. Entamer une troisième vie serait une aberration ! Sors de là, Délian-Ka, je t’en conjure ! Jamais âme rattachée à une enveloppe charnelle encore vivante n’est allée aussi loin ! Des jours et des mois terriens que je m’évertue à te convaincre d’être raisonnable et que tu ne m’écoutes pas ! Délian-Ka ! Sors de ta transe ! Délian-Ka ! »
Il m’était impossible de ne pas reconnaître cette vois. C’était celle de ma grand-mère. De ma grand-mère Ida qui, lorsque je l’avais retrouvée au royaume des morts n’avait eu de cesse de dire et de répéter que la vie était une abomination ! Voilà maintenant qu’elle voulait me forcer à revivre quand je ne le désirais plus ? Enfin, je voulais bien vivre mais plus dans la peau de Délian-Ka ! La vie de Délian-Ka était une atrocité ! C’est ce que je tentais de lui transmettre d’une pensée aussi calme que possible mais elle insista, me harcelant comme un moustique en été, tournant autour de moi à une vitesse vertigineuse qui réussit à me faire perdre mon calme !
« - Laisse-moi ! Laisse-moi ! » m’écriai-je en tendant mes bras immatériels devant moi, ce qui eut pour effet de rompre la fine membrane de pure énergie qui m’enveloppait jusqu’alors.
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, je me retrouvai en face d’Ida, en train de flotter dans une espèce de néant immense et noir. L’absence de haut, de bas, de profondeur et de gravité me rappela mes incursions dans l’espace intersidéral !
Ida et moi planions l’une en face de l’autre, maintenant. Étais-je devenue aussi petite qu’elle ou avait-elle grandi pour se remettre à mon niveau ? Tout cela n’était-il qu’une vue de l’esprit ? En tout cas, elle n’était plus un simple petit point de lumière mais ma grand-mère telle que je l’avais toujours connue ou presque, jeune et jolie pour sa reptilienne engeance mais comme composée de lumière nacrée. Je rendis mes mains devant moi et les reconnus immédiatement. Ces mains grandes et puissantes qui avaient été les miennes de mon vivant ! Ces longs ongles, ces bras musclés, ces os à peine courbes… Je constatais avec dépit que j’avais repris l’aspect de Délian-Ka ! Qu’il n’était plus question de renaissance, de changement d’aspect ou d’identité. Que Délian-Ka perdurait ! Que j’étais Délian-Ka, encore et toujours !

La grande chaîne de la vie.

Au-dessus de ma tête, il y eut comme un bruit de froissement soyeux. Je regardai en l’air (un artifice car ma qualité de pur esprit me permettait de tout voir et tout entendre sans effort mais je renouais sans le vouloir avec des réflexes purement humains) et découvris que toutes les âmes en attente de réincarnation se trouvaient dans des cocons semblables à celui où j’avais séjourné. Collés les uns aux autres, ces cocons qui étaient effectivement en forme de haricot constituaient comme une double ou triple spirale qui s’enroulait sur elle-même, très semblable, finalement, à une chaîne d’ADN ! Il en sourdait une douce lumière qui pulsait lentement en changeant de couleur telles ces jolies lampes en fibre de verre très en vogue dans les années 1970. Cela apportait un peu de chaleur dans ce néant tout noir.
La chaîne formée par les candidats à la renaissance ressemblait à un immense serpent lumineux tapi au fond d’un océan noir et étrangement silencieux. Toutes ces âmes semblaient également très dépendantes les unes des autres. Quelque chose, dans cet ensemble, évoquait aussi pour moi une ruche et ses alvéoles, le côté angoissant en moins. Qu’une seule âme se sépare de cet édifice aussi impressionnant que fragile et c’était le chaos ! Oh, un chaos lent et mesuré ! Tous les cocons de renaissance se décalaient lentement d’une place, provoquant une espèce de vague lente et douce sur toute la surface de ce savant enchevêtrement ainsi que ce doux bruit de soie que l’on froisse. Un vague soupir d’exaspération dans la grande chaîne de la vie !
Après s’être ainsi lentement ébroué, le grand serpent de mer constitué de milliards de petits haricots lumineux et multicolores renfermant des âmes s’éloigna majestueusement dans l’immensité noire, comme offensé par ce chamboulement à la fois majeur et imperceptible.
Je le regardai disparaître avec cette espèce de lenteur solennelle et dédaigneuse, me demandant si le mythe de Quetzalcóatl ainsi que l’histoire de Jack et du Haricot Magique ne venaient pas simplement de là !
Je suis sûre qu’en lisant cela , des gens seront prêts à jurer que je me drogue pour en arriver à de tels délires ! Je jure devant Moïa que ce n’est pas vrai ! Où alors on injectait tellement de morphine dans mon corps inerte demeuré sur Moïa Bokhra que le résultat est ici visible !

Révélations.

Ce moment de pure fascination écoulé, je me tournai vers Ida, furieuse.
« - Regarde un peu ce que tu as fait ! protestai-je, Me voilà redevenue Délian-Ka ! A cause de toi, je ne peux plus renaître !
- Tu renaîtras d’une certaine façon. répondit calmement celle qui, pur esprit ou pas, demeurait ma grand-mère, Tu vas retourner dans ton corps et cela ressemblera beaucoup à une renaissance, en effet !
- Qu’est-ce que tu racontes ? m’écriai-je, Je n’ai plus de corps ! Plus du tout ! L’ourse m’a déchiquetée et mes amis m’ont enterrée ! Je les ai vus !
- Tu les as vus prier à l’endroit où tu as failli perdre la vie. rectifia-t-elle, Tu en as conclu qu’ils t’avaient enterrée à l’endroit où tu étais morte mais rien n’est plus faux, enfant ! Ils cherchaient simplement à rappeler ton âme en formant un puissant égrégore à l’endroit même où le drame a eu lieu.
- Rappeler mon âme ? répétai-je, abasourdie, Mais s’ils avaient vraiment cherché à me cloner, je l’aurais senti !
- Mais qui parle de te cloner ? demanda Ida, Ils n’avaient pas à te cloner puisque tu es encore en vie ! L’ourse ne t’a pas tuée, comment faut-il te le dire, petite tête de pierre ? Tu as survécu grâce à un véritable miracle et tu erres loin de ton corps depuis plus de deux mois terriens ! Ce corps qui n’attend plus que toi pour reprendre totalement vie !
- Eh bien il attendra longtemps ! décrétai-je, Pas question que je réintègre une enveloppe charnelle déchiquetée ! J’ai vu ce que l’ourse en a fait ! C’est un corps pareil que vous voulez me faire réintégrer ? Si ça se trouve, je souffre de handicaps irrémédiables ! Sûrement, même, puisque tu as dit que mon retour à la vie allait ressembler à une nouvelle naissance ! Et vous voulez me forcer à vivre dans ces conditions ! Une invalide défigurée peut-être aveugle, sourde, muette ou paralysée ? Tout en même temps, si ça ce trouve ! C’est ça le genre de vie que vous voulez m’offrir ? C’est ça, votre deuxième chance ? Merci bien mais je vais te dire ce que j’en pense, moi ! C’est de l’EXPERIMENTATION PURE ET SIMPLE ! Ils ont voulu voir comment ça survivait même dans un état pareil, ces bêtes-là ! Même en se prétendant nos amis, ces putains d’hommes du XXX° siècle de merde sont les pires ordures de la création de Moïa ! Ils ne voient en nous que des objets d’étude et de curiosité ! Je trouve ça abject ! Mais ma parole, ils sont de l’autre création, oui ! 
- Tais-toi, ne parle pas comme ça ! s’écria-t-elle, affolée, Nous flottons en ce moment dans une dimension intermédiaire entre le domaine de ta Moïa et celui de Taïa-Araakh ! Tu n’as qu’à continuer comme ça, si tu veux qu’elle vienne !
- Eh bien, justement… commençai-je.
- Viens, ça suffit ! dit-elle en me prenant par le bras, Ce n’est pas un bon endroit pour discuter de choses pareilles ! »
Nous planâmes à une vitesse vertigineuse jusqu’à un vortex lumineux où nous nous engouffrâmes avant de reprendre notre conversation plus calmement.
« - Ne me fais plus jamais des peurs pareilles, Délian-Ka ! avertit d’emblée Ida.
- Tu crois que moi je n’ai pas peur ? demandai-je, L’idée de regagner un corps polytraumatisé pour reprendre là où je l’ai laissée une vie qui me rend malheureuse comme les pierres ne me dit rien ! Je me demande si je ne préférerai pas le sein putride de la Mauvaise !
- Tais-toi, malheureuse ! s’écria Ida, Tu pourrais exaspérer Moïa et alors, si Elle te prenait au mot…
- Ne crois-tu pas que c’est ce qu’Elle s’apprête à faire ? insistai-je, Je me suis vue après l’attaque de l’ourse ! J’étais irregardable ! Pas un endroit de mon corps qui n’ait été épargné par ses griffes et par ses dents ! Si je ne suis pas handicapée, je serai monstrueuse au point de terrifier mes propres enfants ! C’est ça, le genre de vie que l’on me propose ? Et mes amis qui n’ont même pas essayé de me faire cloner ! S’ils tiennent à me maintenir en vie, qu’ils me rendent présentable et valide ! Ou qu’ils me fassent passer dans le Métamorphos ! S’ils ne font rien de tout ça, j’en viendrai à trouver l’ourse qui m’a attaquée plus humaine qu’eux !
- Mais Délian-Ka il est impossible de te cloner ou de te faire passer dans le Métamorphos ! assura Ida, Figure-toi qu’ils y ont pensé avant d’envisager quoi que ce soit d’autre mais c’était impensable !
- Mais pourquoi ? insistai-je, impatiente.
- Parce que tu es enceinte, Délian-Ka ! répondit Ida, me regardant fixement, C’est pour ça que tu dois vivre. »
Si j’avais eu du sang dans les veines, nul doute que je me serai sentie pâlir !
Je restai interdite pendant un bon moment avant de me sentir de nouveau gagnée par la fureur.
« - Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? m’écriai-je, Je serais enceinte ? Et c’est pour ça que je dois vivre ? C’est nouveau, ça ! Ce n’est absolument pas une raison ! Il y a des tas de femmes enceintes qui meurent de par le monde ! Personne ne vient leur dire :  « -Désolée, petite, tu es enceinte ! Tu ne peux décemment mourir ! Nous allons te renvoyer parmi les tiens ! ». Ce serait trop beau ! On dit que même une fille aussi bien placée que la Princesse Diana était enceinte quand elle est morte alors vous pensez bien que moi, pauvre anonyme de Néanderthal…
- Délian-Ka, la Théorie du Complot n’a pas sa place ici ! tenta Ida, Et de toute façon, cette femme dont tu parles est bel et bien retournée dans le monde des vivants puisqu’elle est à Gamma !
- Pas à moi ! rétorquai-je, Je ne me contenterai pas de ce genre de pirouette ! Enceinte ou pas, je veux et j’exige ma propre mort ! Je l’ai bien méritée, tu entends ? Je revendique mon droit de trépasser ! J’EXIGE DE MOURIR MAINTENANT !!! Et le foutu bâtard qui me squatte EGALEMENT !!!  Je n’ai que trop sacrifié ma vie pour des enfants ingrats ! Je ne sacrifierai pas ma mort pour un autre ! Ça non, alors ! C’est tout ce qui me reste ! On ne me le prendra pas ! Je veux crever, vous entendez ! Je veux crever TOUT DE SUITE ! MAINTENANT ! JE VEUX CLABOTER ! CLAMSER ! PASSER L’ARME A GAUCHE, VOUS ENTENDEZ ????????? » achevai-je, folle furieuse, donnant des coups de pieds dans la lumière nacrée.
Qu’il est difficile de convaincre une forte-tête !
Assise sur ce qui semblait être un tas de poussière céleste, Ida me regardait d’un air indulgent et amusé.
« - Voilà bien le genre de réaction d’une mortelle encore puissamment rattachée à son corps ! Si tu te voyais ! Tu cries, tu bouges inutilement, tu donnes des coups de pieds, tu t’agites...
- Et toi, si tu te voyais ! répondis-je avec agressivité, Tu es assise ! Si tu crois que ce n’est pas une attitude de mortel, ça ! Fière comme tu l’es d’être réduite à l’état de pur esprit, tu devrais flotter dans les airs !
- Je suis en train de renouer avec des réflexes humains car ta Moïa m’a chargée d’une nouvelle existence ! annonça-t-elle, l’air serein.
- Tu veux dire que tu vas te réincarner ? demandai-je, calmée pour le compte.
- C’est exactement ça. répondit Ida.
- Eh, c’est injuste ! protestai-je, Moi, je veux rester ici et on veut me forcer à regagner un corps mutilé et toi qui trouves que la vie est une aberration, on veut te réincarner aussi ? Qu’est-ce qui lui prend, à Moïa ? Elle ne veut pas garder ses meilleurs sujets auprès d’Elle ? Elle fait une indigestion d’âmes pures ?
- C’est que je suis bien loin d’être une âme pure. sourit Ida, J’ai commis bien des erreurs dans mon ancienne vie.
- Allons ! fis-je, venant m’asseoir près d’elle.
- J’ai trompé Hélios, mon époux. avoua-t-elle, Très souvent et très longtemps. Avec un homme qui s’appelait Althis Malenkor et qui était son pire ennemi. Je crois qu’Hélios s’est douté de quelque chose à un moment mais il a pensé que Malenkor m’avait subornée.
- Il m’avait parlé de ça, en effet. admis-je.
- C’était peut-être vrai la première fois mais... pas les autres fois ! poursuivit-elle, C’est avec Althis que j’ai découvert les joies de la chair que le pauvre Hélios n’avait jamais réussi à me révéler. Et j’ai follement aimé Althis pour ça. J’ai soupçonné longtemps qu’Héra était la fille de ce dernier, Hélios s’avérant le dernier membre d’une famille plutôt dégénérée, tout de même ! Il a fallu que j’arrive ici pour que Moïa me le confirme. Hélios était stérile et Héra était bien la fille d’Althis ce qui fait qu’elle n’a pas plus de droits que toi sur le Royaume d’Andropolis.
- Stérile ? fis-je, soudain assaillie par des souvenirs terribles.
- En effet. dit-elle, Et cette petite fille née d’un amour véritable, j’ai dû l’abandonner aussi à cause des prétentions de son géniteur qui avait tout compris et voulait nous récupérer toutes deux !
- Pourquoi ne pas être partie avec lui, si tu l’aimais ? demandai-je, très midinette.
- Mais, Délian-Ka tu n’y penses pas ! s’écria-t-elle, J’étais la Reine d’Andropolis. Je ne pouvais partir sur un simple coup de cœur !
- Reine ou pas, j’aurais tout abandonné pour l’homme de ma vie, j’en suis sûre ! insistai-je.
- C’est compliqué ! soupira Ida, On m’avait mariée de force à Hélios ! Mon père avait été ennobli pour avoir sauvé le royaume de la ruine ! Un titre de noblesse ronflant contre une dot confortable qui sauvait Andropolis du marasme ! En attendant, tout le monde se fichait bien de ce que je pouvais penser ! Si j’avais tout quitté, mon père serait retombé dans la roture et il ne me l’aurait jamais pardonné ! J’avais peur de ça quand j’étais jeune ! Qu’il me retrouve et me punisse sévèrement comme il savait si bien le faire ! Plus tard, quand il s’est agi de m’enfuir avec Torah, je ne me suis pas tant posé de questions, preuve que c’était sûrement lui, le plus valable de tous. Mais du temps d’Althis... Par les Dieux, si j’avais fait ça, Hélios aurait sûrement fait lever une armée contre les Terres du Sud dont Althis était le Duc.
- Tu étais libre de choisir, tout de même ! protestai-je, Il n’aurait pas fait tant d’affaires si l’envie lui avait pris de te répudier !
- Certes, mais il n’avait visiblement pas cette envie-là. dit-elle, Lui aussi m’avait épousée sans amour mais il avait quand même de la tendresse pour moi. Surtout depuis que j’avais pondu cet oeuf ! Althis, par contre, était caractériel, violent, ombrageux... Ce n’était pas vraiment sa faute. Il avait fait une chute de cheval lors d’une chasse à l’esclave à Atlantis et avait failli y laisser la vie. Il ne s’en était jamais totalement remis, demeurant souffreteux et versatile. Je ne pouvais pas vivre avec un être pareil même si je l’aimais. D’ailleurs, ce n’était pas vraiment de l’amour : plutôt un mélange de pitié et de sensualité. Ça ne suffisait pas. J’aurais toujours eu plus ou moins peur de lui et je ne voulais pas qu’il élève notre enfant. Je doute aujourd’hui d’avoir eu raison. La présence d’Héra dans sa vie l’aurait peut-être rendu plus sociable. J’ai sûrement fait le mauvais choix en privant Héra de son père et Althis de sa fille. Bien involontairement, d’ailleurs ! Mais j’ai rendu tout le monde malheureux autour de moi et je crois bien que tous ces gens seraient devenus moins méchants par la suite si je n’avais pas tant commis d’erreurs. Héra, par exemple ! Si j’avais pu l’élever, jamais elle ne serait devenue ce qu’elle est devenue ! Jamais elle n’aurait torturé Alkor par plaisir comme elle l’a fait, enfant et donc, jamais Alkor ne serait devenu fou et ne t’aurais rendue malheureuse à ce point-là ! Tu racontes à qui veut l’entendre que j’étais la meilleure des femmes, tu me voues un véritable culte mais tu as tort, Délian-Ka ! Je suis la responsable de bien des malheurs y compris de bon nombre des tiens ! Quelle idée j’ai eue de fuir l’Atlantide avec Torah ! Il est mort à cause de moi ! Et quelle folie d’avoir à ce point insisté pour avoir un enfant de lui ! Lui ne voulait pas. Il était raisonnable, pauvre Torah ! Et les Dieux lui donnaient raison, qui avaient rendu cette chose impossible ! Mais j’ai réussi à le faire céder, à contourner les lois de la nature et à soudoyer un savant quelque peu dépravé afin qu’il m’aide à porter l’enfant de mon esclave ! Ténah est née de cette abominable expérience ! Elle aussi a été bien malheureuse à cause de moi ! Je l’ai aimée, certes ! Je l’ai chérie comme je n’avais pas pu chérir sa sœur mais à cause de son métissage, ta mère a souffert terriblement ! Elle n’a jamais été acceptée par la tribu où elle est née et n’a pu avoir l’homme qu’elle aimait ! Et toi, ça a bien été pareil, ma petite Délian-Ka ! Tu as pâti de ce métissage qui n’était même pas naturel mais crée ni plus ni moins par la folie des savants atlantes ! Cette folie dont je me suis servie pour satisfaire un désir de maternité égoïste !
- Mais j’ai été heureuse dans cette vie-ci ! protestai-je en lui prenant les mains, Et ma mère aussi ! Sais-tu qu’elle a enfin retrouvé Tohar et qu’ils vivent heureux dans une tribu de Moharn dont elle est devenue la Séritha ?
- Je le sais et j’en suis heureuse. répondit Ida, Mon âme a trouvé un semblant de repos, depuis. Je sais qu’Héra a pu, elle aussi épouser l’homme qu’elle avait choisi depuis longtemps et qu’elle s’est vouée au bien en devenant Prêtresse de la Sagesse et en méditant fréquemment afin d’implorer le pardon pour tout le mal qu’elle a fait et dont elle est aujourd’hui consciente. Reste toi, Délian-Ka !
- Moi ? répondis-je, Mais j’ai eu une vie incroyable que je n’aurais probablement pas connue si je n’avais été quarteronne d’Atlante ! Même l’amitié de Wang-Ka, je ne l’aurais pas eue puisqu’il paraît que ce sont mes couleurs bizarres qui l’ont fascinée et incitée à s’approcher de notre campement. Sans ça, elle ne serait jamais revenue parmi les humains. C’est du moins ce qu’elle dit partout. Alors tu vois que ce métissage a pu avoir une utilité s’il a incité une petite fille sauvage et perdue à ne plus fuir la société des hommes ! Et même à devenir la plus grande défenderesse du genre humain ! C’est peut-être grâce à ce métissage, finalement, et à ce que tu crois être ta folie que les Gardiens des Siècles ont pu exister !
- Tiens donc ! sourit Ida, Je croyais que tu avais eu une vie épouvantable et que Wang-Ka et ses amis étaient en grande partie responsables de tous tes malheurs.
- Il y a eu de mauvais moments mais il y en a eu de bons. Il faut être honnête. admis-je.
- Honnête, en effet. répéta-t-elle, Tu as prononcé le mot exact. Et c’est précisément pour devenir quelqu’un d’honnête et alléger un peu le poids de mon karma que je m’apprête à renaître. Simplement, je ne serais pas en mesure de m’incarner à nouveau tant que tu seras parmi nous !
- Ah bon ! fis-je, indignée, Et peut-on savoir pourquoi ? En ce qui me concerne, je ne vois pas du tout le rapport !
- Depuis que je suis morte, dit-elle, je suis chargée de veiller sur ton destin et celui de ta mère. J’ai marché à vos côtés, invisible et attentive pendant toutes ces années !
- Il y a eu des moments où tu as sacrément oublié de faire entendre ta voix ! râlai-je, repensant à l’histoire contestable de Zénaï, mon demi-frère à qui l’on m’avait mariée sous les yeux de notre mère à tous les deux sans que celle-ci ne cherche à empêcher quoi que ce soit alors qu’elle se doutait bien de quelque chose.
- Je sais à quoi tu penses et j’en suis désolée. soupira Ida, Ce n’est pas que je n’aie point tenté d’intervenir, bien au contraire ! J’ai fait de mon mieux et j’ai échoué. Une fois de plus ! Mais à présent Ténah est heureuse, je sais qu’Héra l’est aussi... Reste toi ! Toi qui désobéis aux ordres de Moïa en refusant de regagner ton enveloppe  charnelle ! Qu’allons-nous faire de toi ?
- Moïa ne m’a donné aucun ordre ! objectai-je, souveraine, Si Elle a quelque chose à me dire, qu’Elle se présente à moi et me signifie clairement Ses intentions !
- Comment peux-tu parler ainsi d’une déesse que tu es censée redouter ? s’écria ma grand-mère, horrifiée.
- Moïa, je l’ai vue des tas de fois et Elle ne m’impressionne pas ! lançai-je, pleine de défi, C’est un fantoche né de la foi des autres qui change d’opinion comme de couleur ! Je ne crains pas Ses colères qui ne sont d’ailleurs pas les Siennes mais celles d’un genre humain avec lequel je ne veux pas renouer. Tant qu’on me laissera le choix entre flotter dans une lumière pleine de douceur, de chaleur et d’amour ou me retrouver coincée dans un corps enlaidi et souffrant, je choisirai la première solution, j’espère que tu le comprends !
- Mais ta place n’est pas ici, Délian-Ka ! s’écria Ida, Tu as encore bien des choses à réaliser durant l’existence qui s’offre à toi !
- Oui, mettre au monde un gosse dont je ne pourrai pas m’occuper et qui sera donc malheureux ! J’aime autant que ça n’arrive pas et que ce pauvre petit ne vienne jamais au monde ! protestai-je.
- Mais qui es-tu pour décider ? s’emporta l’Atlante, se levant d’un coup.
- Je suis moi-même et j’ai décidé que je serai la seule à prendre mon destin en main ! Ni Dieu ni Maître, non mais alors ! rétorquai-je, me levant à mon tour.
- Le seul problème est que tu ne peux décemment décider de ton destin toute seule car tu n’es pas indépendante ! martela Ida, Depuis que je suis morte, je te l’ai dit, j’ai fait office d’ange gardien pour ta mère et toi. Et lorsque tu es arrivée parmi nous à la suite de ce terrible épisode avec l’ourse, j’ai été chargée de guider tes pérégrinations dans l’au-delà ! Mais il n’a jamais été question que nous restions là pour l’éternité.
- Mais je ne t’empêche pas de te réincarner, moi ! répliquai-je avec impatience, Tu peux me lâcher, maintenant ! Je connais la maison !
- Bien sûr que si, tu m’empêches de me réincarner ! Et bien sur que non, tu ne connais pas cet endroit aussi bien que tu le crois ! Tu es une mortelle, Délian-Ka ! UNE MORTELLE ! Et tous les mortels qui se toquent de vouloir séjourner trop longtemps ici sèment un véritable chaos en voulant tout voir, tout explorer, tout expérimenter ! Toi, je te connais ! Tu vas tenter de t’incarner de nouveau et n’importe comment pourvu que ce ne soit pas en Délian-Ka ! Mais Délian-Ka vit encore et risque bien de s’éveiller un jour et alors, comment feras-tu pour mener de front trois vies ? Pour t’occuper des enfants à naître ? Et pour gérer le cas de Mimi ? Y as-tu pensé une seconde, à Mimi ?
- Oui, j’y ai pensé et elle est absolument ravie d’être enfin délivrée de mon emprise involontaire ! annonçai-je fièrement.
- Certes mais depuis elle n’a que des ennuis, du stress, des désillusions, un travail qu’elle n’assume plus ! énuméra Ida.
- Elle vit une existence on ne peut plus normale pour une femme du XX° siècle. arguai-je.
- Elle s’en lassera car ton âme bouillonne toujours en elle, qu’elle le veuille ou non ! dit Ida, Elle ne saura se contenter longtemps d’une existence si banale car elle est toi comme tu es elle ! La normalité, l’ordinaire, le quotidien ne sont pas faits pour vous !
- Si je change d’existence et que je laisse mourir Délian-Ka... commençai-je.
- Mais Délian-Ka ne mourra pas ! m’interrompit la Silnienne, Pas avant longtemps, en tout cas ! Moïa a encore besoin de toi parmi les vivants ! Elle a des milliers de projets pour toi !
- Oui, et me faire tomber enceinte alors que je suis encore dans le coma fait partie de ses divines initiatives ! me rembrunis-je (ce qui chez moi était un exploit), Grand-mère, je t’ai entendue dire qu’il n’y avait pas un mais deux enfants à naître... Je ne pourrai pas, tu le sais bien ! L’idée d’attendre un bébé dans ces conditions me terrifiait déjà alors... s’il y en a plusieurs... Comment pourrai-je les élever ? Comment pourrai-je seulement les mettre au monde ? Si ça se trouve, je ne pourrai rien faire de tout ça !
- Mais il n’y a pas que ça ! dit Ida, Tu as aussi des choses à faire parmi les vivants. Tu as fait une promesse à quelqu’un, rappelle-toi.
- Oui, dis-je, J’avais promis à un homme moderne de le ramener chez lui. Je croyais avoir réussi puis il est reparu et il y avait cette ourse... Par Moïa, mais c’était qui, déjà ?
- Tu ne t’en souviens plus ? demanda Ida, intriguée.
- Non. dis-je, C’est terrible. Il y avait aussi... Une autre promesse... Je ne sais plus... C’était pourtant important ! Grand-mère pourquoi est-ce que je ne me souviens de rien ? demandai-je, sincèrement inquiète.
- Pour la meilleure raison du monde. sourit-elle, Tu n’as plus de cerveau. Tu n’as donc plus de mémoire.
- Mais toi, tu te souviens de tout ! objectai-je.
- Parce que l’intégralité de mon âme se trouve ici ! expliqua-t-elle, Il n’y a pas, quelque part dans l’Univers, de corps encore vivant qui me rappelle à lui et garde pour lui une part de ma conscience !
- Ne recommence pas avec ça ! Je ne retournerai pas là-bas ! assurai-je.
- Tu as tort. dit-elle, La vie qui t’y attends est magnifique. Et moi, je n’aurai pas le droit de me réincarner tant que je n’aurais pas su te convaincre de regagner ton enveloppe charnelle.
- Du chantage, maintenant ! Ça nous manquait ! boudai-je.
- Mais non, ma fille ! Il ne s’agit absolument pas de chantage mais des plans de Moïa ! Je sais que tu en as assez de souffrir et Moïa le sait aussi. Mais justement ! L’existence qui t’attend sera autrement sereine ! Ce ne sont pas des mensonges pour te faire céder ! C’est la vérité, Kanou ! Ceci était la dernière et la pire des épreuves que tu avais à surmonter pour gagner enfin le bonheur et le respect qui te sont dus ! Regagne ton corps, je t’en supplie ! Sans quoi je serai obligée de séjourner ici avec toi pour te surveiller en permanence afin que tu ne commettes pas d’erreur !
- Non ! dis-je, La pire des erreurs serait de retourner là-bas ! Il y a encore une menace ! Quelque chose de terrible qui menace les bases ! Quelque chose de tout proche de moi ! Je ne sais plus ! Si ça se trouve, c’est l’enfant que je porte ! Oh, Ida s’il te reste un peu d’amour et d’affection pour moi ne me force pas à retourner là-bas mais aide-moi plutôt à en finir !
- Je ne peux pas faire ça ! s’écria-t-elle, horrifiée.
- Bien sûr que si, tu le peux ! Si j’accepte de retourner près de mon corps à   ce sera seulement pour abréger les souffrances de ce dernier ! Il y a bien un moyen de rompre le contact entre une âme et son corps, n’est-ce pas ?
- Il y en a un, en effet ! dit Ida, le regard perdu dans la lumière.
- Et si je te demandais de m’aider à rompre ce lien ? proposai-je.
- Mais tu n’y penses pas ! s’écria-t-elle, Moïa le saurait et me punirait sévèrement ! Et toi aussi ! En guise de réincarnations, nous pourrions bien nous retrouver toutes deux dans les tentacules de Taïa-Araakh !
- Mais non ! insistai-je, Personne ne saurait ! Que toi et moi ! Et puis ce n’est pas d’un meurtre qu’il s’agit mais d’un service rendu ! Par Moïa, tu ne sembles pas savoir dans quel état se trouvait mon corps avant que je ne rejoigne ce monde !
- Et toi, sais-tu seulement dans quel état il se trouve à présent ? demanda-t-elle en me regardant fixement, Tu vas peut-être beaucoup mieux que tu ne crois ! Tu pourrais même être agréablement surprise.
- Alors ça, je demande à voir ! fis-je.
- Eh bien voilà enfin une parole sensée ! déclara Ida, souriante, Allons voir !
- Très bien. Nous y allons ! Mais je te préviens ! Pas d’entourloupes ! »
Un vortex lumineux, plus lumineux encore que l’univers dans lequel nous flottions, s’ouvrit devant nous comme je prononçais ces mots. Il avait une douce couleur vert pâle et une sorte de texture liquide. Nous y plongeâmes avec délices. L’instant d’après, nous nous retrouvâmes devant un écran lumineux qui nous indiquait en clignotant où nous étions et quand.