lundi 25 avril 2011

Expérience inédite: le débitage de bison façon Néandertal - A la Une : Ladépêche.fr

Un très chouette article de "la Dépêche", expliquant comment les hommes de Néanderthal découpaient un bison avec leurs outils en silex. 
L'article montre bien que la "taphonomie", l'étude des traces, est un véritable travail d'expert scientifique, très proche de celui des experts judiciaires chargés de faire d'indices ténus des preuves et des explications concernant un crime, par exemple. Là, c'est la vie de nos ancêtres que l'on reconstitue avec de plus en plus de vraisemblance et d'exactitude, même s'il nous manque les langues et les usages de ces gens, mais l'image qui s'en dégage, de plus en plus, est celle d'êtres remarquables d'intelligence et de savoir, en fin de compte. Merci les ancêtres de nous avoir précédés, et merci les préhistoriens de nous les ressusciter !
Un bison priscus et un Néanderthalien, permettant du coup de comparer les tailles respectives de l'homme et de l'animal, sachant que la taille moyenne d'un Néanderthalien est d'un mètre soixante-cinq. Le dessin est l'oeuvre d'Emmanuel Roudier. © Emmanuel Roudier.

Voici, ci-dessous, la copie in extenso de l'article en lien dans l'entête de cet article :

Expérience inédite: le débitage de bison façon Néandertal
Des spécialistes de la préhistoire débitent au silex, à la façon des Néandertaliens, un bison fraîchement tué. But de cette expérience inédite: mieux comprendre les outils et les méthodes de boucherie employés voici 50.000 ans par les hommes des cavernes.
Une vingtaine de chercheurs d'un programme collectif baptisé "Des traces et des hommes" se pressent depuis jeudi et jusqu'à vendredi autour de la carcasse d'un bison de 300 kg allongé sur une bâche en plastique, dans le jardin de l'un d'eux à Villemur-sur-Tarn, au nord de Toulouse.
Des archéozoologues, technologues et tracéologues, spécialisés respectivement dans l'étude des ossements d'animaux, des outils de pierre et des traces d'usure laissées sur ces mêmes silex participent à l'opération.
"Après des dépeçages de cerfs, c'est la première fois qu'on mène en Europe ce genre d'expérience avec un animal aussi gros", dit Vincent Mourre, préhistorien de l'Inrap (archéologie préventive), partie prenante à l'opération aux côtés du CNRS et des universités de Toulouse et Bordeaux.
Des expériences similaires ont été menées aux États-Unis sur des bisons mais avec les outils en obsidienne privilégiés par les Indiens du Nouveau Monde, explique-t-il.
Ici, il s'agit de mieux comprendre la vie des Néandertaliens qui habitaient la région il y a 40.000 ou 50.000 ans, renchérit Céline Thiébaut, à l'initiative du programme. Quels outils, quelles méthodes de boucherie étaient utilisés par ces chasseurs-cueilleurs, qui se déplaçaient dans le sillage des troupeaux ?
S'il est difficile de savoir si les hommes des cavernes préféraient leur steak dans la bavette ou dans la hampe, "on peut retrouver des traces de désarticulation, de décharnement ou d'exploitation de la moelle", raconte Sebastian Chong, qui prépare un mémoire sur la caractérisation des stries de boucherie.
Sous un soleil radieux, au milieu des effluves écœurantes émanant de la carcasse, les chercheurs dépècent, débitent et désarticulent un bison d'Amérique issu d'un élevage des Cévennes. L'animal, une femelle âgée vouée à l'euthanasie, a été tué et éviscéré en abattoir.
Les chercheurs utilisent des répliques d'outils en silex ou en quartzite, consignant soigneusement le moment où les bifaces (pierres taillées sur deux côtés), pointes et autres hachereaux rencontrent l'os avant de ranger les instruments après chaque opération spécifique.
"Ce sont de bons outils, affûtés comme des lames" même s'ils s'émoussent très vite, commente Sandrine Costamagno, une archéozoologue. "Avec un silex, on peut opérer quelqu'un".
Stéphane Brenet, boucher professionnel, venu assister à l'opération par curiosité, est admiratif. "Je trouve qu'ils se débrouillent très bien".
Le but est de mettre au point un système de références qui servira à confronter les observations faites au cours de l'expérience et les outils et ossements retrouvés sur les sites archéologiques.
Dans la région, de grandes quantités d'ossements correspondant aux restes de centaines de bisons mêlés à des outils ont été retrouvés à Coudoulous (Lot) ou à Mauran (Haute-Garonne). A Mauran, il semble qu'une falaise ait servi de piège naturel, où un grand nombre de bêtes ont été abattues avec "énormément de gâchis": des os articulés ont été retrouvés sur place, laissant supposer que les chasseurs n'emportaient que les meilleurs morceaux.
Contrairement aux ethnologues, les préhistoriens n'ont "presque plus rien. On fait notre petite enquête. Chaque élément est l'élément d'un puzzle qu'on essaye de reconstituer", dit Céline Thiébaut.
 
Une vingtaine de chercheurs dépècent au silex un bison fraichement tué, le 21 avril 2011, à Villemur-sur-Tarn Éric Cabanis AFP

Il est intéressant de noter que la sublime et passionnante saga de B.D. "Neandertal", parue en trois tomes chez Delcourt et oeuvre d'Emmanuel Roudier, a justement été inspirée par les sites de Coudoulous et Maurin mentionnés dans cet article.
Quant au terme d'"hommes des cavernes" utilisé, il est à noter aussi que les hommes préhistoriques, s'ils ont parfois fait halte sous les porches desdites cavernes, n'y vivaient pas vraiment. Tout au plus les ont-ils utilisées pour quelque halte de chasse, ou pour enterrer leurs morts, voire, plus tardivement, les orner de dessins fabuleux qui nous font encore rêver par-delà les millénaires, mais ces gens, toutes époques paléolithiques confondues, n'ont jamais vécu DANS les cavernes. La plupart du temps, ils érigeaient des tentes ou des cabanes en plein air, et bien plus rarement dans des abris-sous-roche, voire des porches de cavernes. C'est parce qu'uniquement la plupart des restes retrouvés ont été exhumés dans des grottes où on les avait pieusement enterrés, que le mythe de l'homme des cavernes est né au dix-neuvième siècle. L'appellation correcte est donc "homme préhistorique", et non pas "homme des cavernes", même si ce dernier vocable semble plus parlant aux yeux de la plupart des gens. D'ailleurs, les intervenants de l'article auraient pu le préciser à son auteur, enfin, moi, ce que j'en dis... Il n'en demeure pas moins que la recherche effectuée là est passionnante !