Celui-là, il est dédié à Zed, Mimi, et Sam Degunst en particulier et à toutes les autres femmes de ce monde, en général ! Voici, ci-dessous, l'intégrale du texte en lien ci-dessus.
- Publié le Mercredi, 25 Janvier 2012 08:58
Par Laureline Amanieux - BSCNEWS.FR / « Où sont les femmes ? » Le titre-phare du chanteur Patrick Juvet semble s'adapter aux mythologies du monde, ces récits fabuleux sacrés. Pourtant les femmes n'en sont pas absentes, tout au plus ombragées par les vedettes masculines. Quand elles s'affirment comme des héroïnes divines, elles mettent à mal tous les poncifs, et dévoilent chacune un aspect inattendu de la féminité, dans tous ses états !
La femme est-elle créée par un dieu masculin ? Le documentaire de Herzog
en 2011, La Grotte des rêves perdus, nous montre les traces d’un culte
rendu à une divinité féminine, il y a plus de 30 000 ans, par les
hommes de Neandertal dans la grotte de Chauvet : dessin rupestre à
l’image de ces Vénus callipyges, symboles les plus anciens d’une
possible déesse-mère fertile donnant la vie, la mort et assurant la
régénération. Une créatrice dépourvue d’époux masculin aurait alors
engendré la terre, toutes les créatures et l’univers par
parthénogenèse. Dans Le Langage de la Déesse, c’est en tous cas la
thèse défendue par l’archéologue Marija Gimbutas, suggérant que la
religion des origines serait matriarcale.
Des mouvements
féministes accueillirent ces recherches avec enthousiasme au XXe
siècle, car elles permettent de revaloriser la place de la femme dans
nos sociétés actuelles, ainsi que certains mouvements écologistes
associant la terre symboliquement à une divinité naturelle assurant
notre existence. Respecter la nature revient alors à protéger notre
source de vie.
De son côté, le psychologue Carl Jung voit la
déesse-mère et nourricière comme un archétype inné de notre inconscient
collectif. Et la créativité, dans tous les domaines, fait partie des pouvoirs féminins.
La femme
reste-t-elle immobile dans sa demeure, attendant le retour de son époux
égaré ? Les déesses sumériennes et mésopotamiennes ne l’entendaient
pas ainsi. La plus ancienne descente aux Enfers répertoriée s’avère
celle de la déesse Inanna, bien antérieure à l’Orphée grec, car elle
date de 3000 ans avant J.-C. Le texte ne permet pas de connaître avec
certitude les raisons de son voyage. Elle dit vouloir assister aux
obsèques du mari de sa sœur, la déesse des Enfers, Ereshkigal.
Sa
sœur enrage à l’idée de cette visite : Inanna incarne la lumière,
l’amour, la fertilité, tout l’envers de ce qu’Ereshkigal côtoie au
quotidien dans son royaume des morts dont elle ne peut sortir. Elle lui
impose donc plusieurs épreuves. Inanna traverse sept portes avant
d’atteindre le centre des Enfers, mais à chaque porte, un gardien lui
commande d’ôter l’un de ses vêtements et bijoux. Lorsqu’Inanna
paraît toute nue devant sa sœur, cette dernière la condamne à mort, et
pend son cadavre à un poteau près de son trône ! Même les déesses
meurent… Dans Le héros aux mille et un visages, le mythologue Joseph
Campbell considère Inanna et Ereshkigal comme « une seul déesse sous
deux aspects ». Inanna descendrait aux Enfers pour connaître son
opposée, sa propre part d’ombre, de même que sur un plan psychologique,
nous devons descendre dans les profondeurs de notre inconscient pour
reconnaître notre zone d’ombre au lieu de la fuir. Aucune connaissance ou maîtrise
de soi ne s’accomplit sans la conscience de notre démon intérieur. Trois jours et trois nuits s’écoulent. Un ami d’Inanna, resté parmi les
vivants, persuade les autres dieux de venir à son secours. Inanna
renaît grâce à eux, remonte des Enfers, mais à une seule condition
exigée par sa sœur : envoyer quelqu’un d’autre prendre sa place. Inanna
visite un à un ses amis chers. Elle les surprend tous en train de
pleurer sa disparition. Touchée par leur loyauté, elle ne se résout pas
à les choisir. Mais lorsqu’elle rejoint son amant Dumuzi, celui-ci
folâtre, indifférent au sort d’Inanna. Furieuse, la déesse l’expédie
au royaume des morts à sa place ! Par la suite, elle regrette sa
colère. Dumuzi est autorisé à revenir six mois par an sur terre,
lorsque la nature renaît au printemps, tandis qu’il passe les six mois
d’automne et d’hiver dans les ténèbres. Nous sommes loin de la
recherche amoureuse d’un Orphée ou d’une Psychée aux Enfers, et la
mythologie révèle bien là sa différence avec toute théologie morale :
les déesses, comme la vie, ne sont pas toujours des modèles de justice.
Et sans doute vaut-il mieux ne pas contrarier une déesse… … ni
résister à ses désirs. Les mythes nous révèlent un féminin sensuel qui
ne les confine pas dans un rôle d'épouse ou de mère. Aphrodite, Vénus,
Inanna et Ishtar incarnent des déesses de l’amour aux nombreux amants,
sans culpabilité ni châtiments. De telles mythologies ne séparent jamais corps et esprit. La plupart de
leurs prêtresses dans les temples étaient d’ailleurs des prostituées
sacrées, conférant à la sexualité un rôle spirituel majeur. Dans
l’antique Babylone, le roi se prêtait au rituel du mariage sacré avec la
prêtresse d’Inanna afin d’assurer la prospérité de la cité et
l’abondance de la nature. Aujourd’hui, nous retrouvons une conception de
la sexualité féminine comme énergie sacrée dans le Tantrisme, en Asie.
Même Les monologues du vagin d’Eve Ensler au XXe siècle n’ont rien
inventé. Des poèmes érotiques, gravés sur des tablettes de pierre,
transmettent les « chants à sa vulve » que la déesse Inanna entonne pour
elle-même. Dans La Grande Déesse-mère, Shahkrukh Husain nous en cite
un extrait : « comment, s’appuyant contre un pommier et « se
réjouissant à la vue de sa merveilleuse vulve, la jeune femme (Inanna)
s’applaudit elle-même » avant de rendre visite à l’un de ses amants, le
dieu Enki.
Dans la mythologie phénicienne datant de 1200 ans avant
J.-C, la déesse Astarté incarne un désir plus tumultueux. Par
accident, Eschmoun, un jeune garçon chaste de Beyrouth surprend la
nudité d'Astarté, alors que la déesse se baignait dans une source en
pleine forêt de palmiers, de cyprès et de bananiers. Au premier regard,
Astarté désire le garçon. Eschmoun s'enfuit alors en courant. a déesse le poursuit, le rattrape, et lorsqu'elle est au point de le
saisir, Eschmoun défait le couteau qui pend à sa ceinture : il
s'émascule. La mort l'envahit ; rien n'arrête l'hémorragie. Astarté
hurle de désespoir, elle invoque ses pouvoirs pour le ressusciter,
elle y parvient et fait de lui un amant divin régnant à ses côtés.
Eschmoun devient le dieu de la guérison des plaies du corps tandis
qu’Astarté soignent les blessures du coeur et de l'esprit. La sexualité
intense des déesses est en effet une source d’épanouissement pour les
mortels.
La femme est-elle une simple victime qu'un héros valeureux
sauve d'un monstre ? Les déesses guerrières positives abondent dans la
mythologie slave, celte ou égyptienne et restent toujours valorisées
dans l’hindouisme. Nullement considérées comme des femmes masculines,
tranchant leurs seins pour mieux combattre à l’instar des Amazones
grecques, elles resplendissent de beauté autant que de force aautonome.
Voici un récit hindou à ce sujet : le démon Mahîshâsura massacre les
hommes et expulse les dieux de leur royaume. Personne de vivant ou de
divin ne peut le vaincre, ni de masculin.
Les dieux fondateurs,
Vishnu, Brahma et Shiva, se concertent alors pour trouver le moyen de
le tuer. Une tempête éclate soudain, puis un immense éclair de lumière
zèbre le ciel. Une femme sublime, Durga, en surgit. Les trois dieux la
dotent aussitôt d’armes pour ses huit bras et d’un tigre pour monture. Quand Mahîshâsura découvre la beauté de Durga, il désire l’épouser. La
guerrière s’y engage s’il réussit à la battre. Le démon ne doute pas un
instant de gagner sur une simple femme, mais il a beau se transformer
en animaux féroces ou envoyer ses armées, en neuf jours, Durga défait
une à une ses tentatives, puis le dixième jour, elle le tue, libérant
la terre et les cieux de sa tyrannie.
Cette déesse représente sans
doute l’énergie guerrière quand féminité et réussite personnelle,
professionnelle ou militante, fonctionnent très bien ensemble.
La femme est-elle la tentatrice qui provoque le malheur de ce monde ?
Au contraire, la boddhisattva chinoise Gouanyin, alias Merveille de
Bonté, sauve l’humanité régulièrement et en premier sa famille,
n’hésitant pas à sacrifier son corps physique pour soigner celui de son
père, qui l’avait pourtant maltraitée toute sa vie. Catherine Bourzat nous raconte son histoire dans Mythologies et
imaginaires du monde chinois. Gouanyin est « Celle qui entend les
prières, les plaintes et les pleurs ». Elle soulage les souffrances
humaines en exauçant les prières. Elle s'incarne même régulièrement dans
un corps humain pour venir en aide à ceux qui en ont besoin.
De
même, sans la quête tenace de la déesse égyptienne Isis et sans ses
pouvoirs de guérison, le corps de son mari Osiris serait resté éparpillé
en morceaux par Seth, le dieu du chaos. Leur fils Horus, garant de
l’ordre et de la paix, n’aurait jamais pu être engendré.
Nous
disons, dans l’un de nos proverbes français, la femme girouette,
changeant sans cesse d'avis et bien fol qui s'y fie. Les indiens
d'Amérique valorisent au contraire cet aspect du féminin. Leur
mythologie divinise la Femme Changeante. Pour les Navajos, elle change
ainsi de vêtements quatre fois dans l’année en franchissant les quatre
portes de sa maison céleste, symbolisant le passage des saisons. Ou
encore elle se réveille en jeune fille vierge au printemps, une femme
épanouie et mère de toutes choses en été, puis elle vieillit l’automne,
s’endort en hiver avant l’éveil printanier.
Aux Apaches, elle
offre connaissance, sagesse, cycles naturels… Aux Navajos, elle offre
le maïs ; elle a créé Premier Homme et Première Femme avant de leur
enseigner à vivre en harmonie avec la nature. C’est elle qui préside toutes les cérémonies fêtant la puberté des
jeunes filles, l’arrivée des premières règles et l’apprentissage de la
sexualité.
Il nous faut citer pour conclure ce texte
remarquable, découvert en 1945 parmi les papyrus gnostiques enterrés
dans le désert de Nag’Hammâdi, avec les évangiles apocryphes. Traduits
en copte, ils datent du IIIe ou IVe siècle.
C’est une voix
féminine qui parle, et nous montre combien la féminité se concevait
comme une totalité donnant la vie comme la mort, et supervisant toutes
les dimensions de la vie humaine :
« Car je suis la première et la dernière.
Je suis l’honorée et la méprisée.
Je suis la prostituée et la sainte.
Je suis l’épouse et la vierge.
Je suis la mère et la fille.
Je suis les membres de ma mère.
Je suis la stérile et nombreux sont mes fils.
Je suis la magnifiquement mariée et la célibataire.
Je suis l’accoucheuse et celle qui n’a pas procréé….
Ayez du respect pour moi.
Je suis la scandaleuse et la magnifique. »
Alors
la mythologie et la quête héroïque, est-ce une affaire d'hommes ? Il
existe de grandes héroïnes divines, qui font explorer aux femmes des
chemins méconnus de féminité, quand le pouvoir, la guerre, l’innovation,
l’indépendance et la sensualité faisaient partie de leurs nombreuses
attributions.
Le dictionnaire des mythes féminins, sous la direction du professeur Pierre Brunel, leur rend, heureusement, un vaste hommage.
Et puisque les mythes dépendent de ceux qui les réinterprètent, époque
après époque, nous voici invités, à partir de ces récits, à les
réinventer de nouveau pour expérimenter les nouveaux champs de la
féminité contemporaine.
Je trouve ces mythes passionnants... Et on voit bien qu'il y a eu un renversement de pouvoir, puisque les peuples auxquels il est fait référence ici renferment actuellement le plus grand taux de machos et phallocrates qui soient ! Il faut que les femmes reprennent la main ! Pas forcément pour dominer et écraser les hommes, mais pour être à égalité avec eux. Et traitées dignement. Tout simplement ! Pour qu'elles ne soient plus jamais victimes de mutilations, claustrations, mariages forcés et autres crimes d'honneur, comme l'affaire effroyable qui défraie la chronique actuellement au Canada et dont je parle dans le post suivant...