lundi 6 février 2012

Les femmes au coeur des mythologies du monde | IDÉES | Point de vue

 







Celui-là, il est dédié à Zed, Mimi, et Sam Degunst en particulier et à toutes les autres femmes de ce monde, en général ! Voici, ci-dessous, l'intégrale du texte en lien ci-dessus.

Les femmes au coeur des mythologies du monde


Par Laureline Amanieux - BSCNEWS.FR / « Où sont les femmes ? » Le titre-phare du chanteur Patrick Juvet semble s'adapter aux mythologies du monde, ces récits fabuleux sacrés. Pourtant les femmes n'en sont pas absentes, tout au plus ombragées par les vedettes masculines. Quand elles s'affirment comme des héroïnes divines, elles mettent à mal tous les poncifs, et dévoilent chacune un aspect inattendu de la féminité, dans tous ses états !
La femme est-elle créée par un dieu masculin ? Le documentaire de Herzog en 2011, La Grotte des rêves perdus, nous montre les traces d’un culte rendu à une divinité féminine, il y a plus de 30 000 ans, par les hommes de Neandertal dans la grotte de Chauvet : dessin rupestre à l’image de ces Vénus callipyges, symboles les plus anciens d’une possible déesse-mère fertile donnant la vie, la mort et assurant la régénération. Une créatrice dépourvue d’époux masculin aurait alors engendré la terre, toutes les créatures et l’univers par parthénogenèse. Dans Le Langage de la Déesse, c’est en tous cas la thèse défendue par l’archéologue Marija Gimbutas, suggérant que la religion des origines serait matriarcale.
Des mouvements féministes accueillirent ces recherches avec enthousiasme au XXe siècle, car elles permettent de revaloriser la place de la femme dans nos sociétés actuelles, ainsi que certains mouvements écologistes associant la terre symboliquement à une divinité naturelle assurant notre existence. Respecter la nature revient alors à protéger notre source de vie.
De son côté, le psychologue Carl Jung voit la déesse-mère et nourricière comme un archétype inné de notre inconscient collectif. Et la créativité, dans tous les domaines, fait partie des pouvoirs féminins. 
La femme reste-t-elle immobile dans sa demeure, attendant le retour de son époux égaré ? Les déesses sumériennes et mésopotamiennes ne l’entendaient pas ainsi. La plus ancienne descente aux Enfers répertoriée s’avère celle de la déesse Inanna, bien antérieure à l’Orphée grec, car elle date de 3000 ans avant J.-C. Le texte ne permet pas de connaître avec certitude les raisons de son voyage. Elle dit vouloir assister aux obsèques du mari de sa sÅ“ur, la déesse des Enfers, Ereshkigal.
Sa sÅ“ur enrage à l’idée de cette visite : Inanna incarne la lumière, l’amour, la fertilité, tout l’envers de ce qu’Ereshkigal côtoie au quotidien dans son royaume des morts dont elle ne peut sortir. Elle lui impose donc plusieurs épreuves. Inanna traverse sept portes avant d’atteindre le centre des Enfers, mais à chaque porte, un gardien lui commande d’ôter l’un de ses vêtements et bijoux. Lorsqu’Inanna paraît toute nue devant sa sÅ“ur, cette dernière la condamne à mort, et pend son cadavre à un poteau près de son trône ! Même les déesses meurent… Dans Le héros aux mille et un visages, le mythologue Joseph Campbell considère Inanna et Ereshkigal comme « une seul déesse sous deux aspects ». Inanna descendrait aux Enfers pour connaître son opposée, sa propre part d’ombre, de même que sur un plan psychologique, nous devons descendre dans les profondeurs de notre inconscient pour reconnaître notre zone d’ombre au lieu de la fuir. Aucune connaissance ou maîtrise de soi ne s’accomplit sans la conscience de notre démon intérieur. Trois jours et trois nuits s’écoulent. Un ami d’Inanna, resté parmi les vivants, persuade les autres dieux de venir à son secours. Inanna renaît grâce à eux, remonte des Enfers, mais à une seule condition exigée par sa sÅ“ur : envoyer quelqu’un d’autre prendre sa place. Inanna visite un à un ses amis chers. Elle les surprend tous en train de pleurer sa disparition. Touchée par leur loyauté, elle ne se résout pas à les choisir. Mais lorsqu’elle rejoint son amant Dumuzi, celui-ci folâtre, indifférent au sort d’Inanna. Furieuse, la déesse l’expédie au royaume des morts à sa place ! Par la suite, elle regrette sa colère. Dumuzi est autorisé à revenir six mois par an sur terre, lorsque la nature renaît au printemps, tandis qu’il passe les six mois d’automne et d’hiver dans les ténèbres. Nous sommes loin de la recherche amoureuse d’un Orphée ou d’une Psychée aux Enfers, et la mythologie révèle bien là sa différence avec toute théologie morale : les déesses, comme la vie, ne sont pas toujours des modèles de justice. Et sans doute vaut-il mieux ne pas contrarier une déesse… … ni résister à ses désirs. Les mythes nous révèlent un féminin sensuel qui ne les confine pas dans un rôle d'épouse ou de mère. Aphrodite, Vénus, Inanna et Ishtar incarnent des déesses de l’amour aux nombreux amants, sans culpabilité ni châtiments. De telles mythologies ne séparent jamais corps et esprit. La plupart de leurs prêtresses dans les temples étaient d’ailleurs des prostituées sacrées, conférant à la sexualité un rôle spirituel majeur. Dans l’antique Babylone, le roi se prêtait au rituel du mariage sacré avec la prêtresse d’Inanna afin d’assurer la prospérité de la cité et l’abondance de la nature. Aujourd’hui, nous retrouvons une conception de la sexualité féminine comme énergie sacrée dans le Tantrisme, en Asie.
Même Les monologues du vagin d’Eve Ensler au XXe siècle n’ont rien inventé. Des poèmes érotiques, gravés sur des tablettes de pierre, transmettent les « chants à sa vulve » que la déesse Inanna entonne pour elle-même. Dans La Grande Déesse-mère, Shahkrukh Husain nous en cite un extrait : « comment, s’appuyant contre un pommier et « se réjouissant à la vue de sa merveilleuse vulve, la jeune femme (Inanna) s’applaudit elle-même » avant de rendre visite à l’un de ses amants, le dieu Enki.
Dans la mythologie phénicienne datant de 1200 ans avant J.-C, la déesse Astarté incarne un désir plus tumultueux. Par accident, Eschmoun, un jeune garçon chaste de Beyrouth surprend la nudité d'Astarté, alors que la déesse se baignait dans une source en pleine forêt de palmiers, de cyprès et de bananiers. Au premier regard, Astarté désire le garçon. Eschmoun s'enfuit alors en courant. a déesse le poursuit, le rattrape, et lorsqu'elle est au point de le saisir, Eschmoun défait le couteau qui pend à sa ceinture : il s'émascule. La mort l'envahit ; rien n'arrête l'hémorragie. Astarté hurle de désespoir, elle invoque ses pouvoirs pour le ressusciter, elle y parvient et fait de lui un amant divin régnant à ses côtés. Eschmoun devient le dieu de la guérison des plaies du corps tandis qu’Astarté soignent les blessures du coeur et de l'esprit. La sexualité intense des déesses est en effet une source d’épanouissement pour les mortels.
La femme est-elle une simple victime qu'un héros valeureux sauve d'un monstre ? Les déesses guerrières positives abondent dans la mythologie slave, celte ou égyptienne et restent toujours valorisées dans l’hindouisme. Nullement considérées comme des femmes masculines, tranchant leurs seins pour mieux combattre à l’instar des Amazones grecques, elles resplendissent de beauté autant que de force aautonome.
Voici un récit hindou à ce sujet : le démon Mahîshâsura massacre les hommes et expulse les dieux de leur royaume. Personne de vivant ou de divin ne peut le vaincre, ni de masculin.
Les dieux fondateurs, Vishnu, Brahma et Shiva, se concertent alors pour trouver le moyen de le tuer. Une tempête éclate soudain, puis un immense éclair de lumière zèbre le ciel. Une femme sublime, Durga, en surgit. Les trois dieux la dotent aussitôt d’armes pour ses huit bras et d’un tigre pour monture. Quand Mahîshâsura découvre la beauté de Durga, il désire l’épouser. La guerrière s’y engage s’il réussit à la battre. Le démon ne doute pas un instant de gagner sur une simple femme, mais il a beau se transformer en animaux féroces ou envoyer ses armées, en neuf jours, Durga défait une à une ses tentatives, puis le dixième jour, elle le tue, libérant la terre et les cieux de sa tyrannie.
Cette déesse représente sans doute l’énergie guerrière quand féminité et réussite personnelle, professionnelle ou militante, fonctionnent très bien ensemble.   
La femme est-elle la tentatrice qui provoque le malheur de ce monde ? Au contraire, la boddhisattva chinoise Gouanyin, alias Merveille de Bonté, sauve l’humanité régulièrement et en premier sa famille, n’hésitant pas à sacrifier son corps physique pour soigner celui de son père, qui l’avait pourtant maltraitée toute sa vie.      Catherine Bourzat nous raconte son histoire dans Mythologies et imaginaires du monde chinois. Gouanyin est « Celle qui entend les prières, les plaintes et les pleurs ». Elle soulage les souffrances humaines en exauçant les prières. Elle s'incarne même régulièrement dans un corps humain pour venir en aide à ceux qui en ont besoin.
De même, sans la quête tenace de la déesse égyptienne Isis et sans ses pouvoirs de guérison, le corps de son mari Osiris serait resté éparpillé en morceaux par Seth, le dieu du chaos. Leur fils Horus, garant de l’ordre et de la paix, n’aurait jamais pu être engendré.    
Nous disons, dans l’un de nos proverbes français, la femme girouette, changeant sans cesse d'avis et bien fol qui s'y fie. Les indiens d'Amérique valorisent au contraire cet aspect du féminin. Leur mythologie divinise la Femme Changeante. Pour les Navajos, elle change ainsi de vêtements quatre fois dans l’année en franchissant les quatre portes de sa maison céleste, symbolisant le passage des saisons. Ou encore elle se réveille en jeune fille vierge au printemps, une femme épanouie et mère de toutes choses en été, puis elle vieillit l’automne, s’endort en hiver avant l’éveil printanier.
Aux Apaches, elle offre connaissance, sagesse, cycles naturels… Aux Navajos, elle offre le maïs ; elle a créé Premier Homme et Première Femme avant de leur enseigner à vivre en harmonie avec la nature.  C’est elle qui préside toutes les cérémonies fêtant la puberté des jeunes filles, l’arrivée des premières règles et l’apprentissage de la sexualité.  
Il nous faut citer pour conclure ce texte remarquable, découvert en 1945 parmi les papyrus gnostiques enterrés dans le désert de Nag’Hammâdi, avec les évangiles apocryphes. Traduits en copte, ils datent du IIIe ou IVe siècle.
C’est une voix féminine qui parle, et nous montre combien la féminité se concevait comme une totalité donnant la vie comme la mort, et supervisant toutes les dimensions de la vie humaine :

« Car je suis la première et la dernière.
Je suis l’honorée et la méprisée.
Je suis la prostituée et la sainte.
Je suis l’épouse et la vierge.
Je suis la mère et la fille.
Je suis les membres de ma mère.
Je suis la stérile et nombreux sont mes fils.
Je suis la magnifiquement mariée et la célibataire.
Je suis l’accoucheuse et celle qui n’a pas procréé….
Ayez du respect pour moi.
Je suis la scandaleuse et la magnifique. »
Alors la mythologie et la quête héroïque, est-ce une affaire d'hommes ? Il existe de grandes héroïnes divines, qui font explorer aux femmes des chemins méconnus de féminité, quand le pouvoir, la guerre, l’innovation, l’indépendance et la sensualité faisaient partie de leurs nombreuses attributions.
Le dictionnaire des mythes féminins, sous la direction du professeur Pierre Brunel, leur rend, heureusement, un vaste hommage.
Et puisque les mythes dépendent de ceux qui les réinterprètent, époque après époque, nous voici invités, à partir de ces récits, à les réinventer de nouveau pour expérimenter les nouveaux champs de la féminité contemporaine.
Je trouve ces mythes passionnants... Et on voit bien qu'il y a eu un renversement de pouvoir, puisque les peuples auxquels il est fait référence ici renferment actuellement le plus grand taux de machos et phallocrates qui soient ! Il faut que les femmes reprennent la main ! Pas forcément pour dominer et écraser les hommes, mais pour être à égalité avec eux. Et traitées dignement. Tout simplement ! Pour qu'elles ne soient plus jamais victimes de mutilations, claustrations, mariages forcés et autres crimes d'honneur, comme l'affaire effroyable qui défraie la chronique actuellement au Canada et dont je parle dans le post suivant...


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très intéressant, en tout cas ! Et souvent proche de ce que nous écrivons. Une forme d'atavisme ?

Tinkyfurax a dit…

Souvenirs génétiques, comme dans ce film, "Au-delà du Réel", que j'aimerais bien retrouver en DVD, ceci dit. Je l'avais adoré, celui-là !
Bises !