vendredi 1 août 2008

Suite de l'extrait très métaphysique de notre saga, écrit par Mimi.

Février 3001.

Résurgences.

Les ancêtres de Kanou.

L’histoire avait commencé comme une autre saga célèbre : il y avait longtemps, bien longtemps, sur une planète lointaine, très lointaine... Une planète qui ne s’appelait pas encore Silna, mais Séléna. Couverte de vignes, de vergers, de montagnes majestueuses aux sommets couronnés de neiges éternelles, cette planète dont le sol regorgeait de minerais précieux était un véritable jardin d’Eden. Mais un jardin d’Eden qui aurait bénéficié de la technologie la plus avancée. Bref, la Civilisation dans tout ce qu’elle peut avoir de plus idéal.
Malheureusement, il est bien connu que les gens heureux n’ont pas d’histoire et la trop prospère planète finit un jour par souffrir de pollutions multiples et de surpopulation. Cela donna lieu à des exodes massifs, à des colonisations intempestives, puis à des guerres épouvantables. Il fut donc décidé que la plupart des Séléniens allaient partir dans l’espace pour s’établir ailleurs.
Les candidats à l’expatriation étaient nombreux. Il s’agissait en général de gens pauvres, ruinés ou désespérés à qui Séléna n’avait plus rien de bon à offrir. Mais justement, les Hautes Instances qui avaient tout planifié voulaient expédier vers d’autres planètes leurs plus glorieux représentants : des gens jeunes, en pleine santé, riches et beaux (selon les critères séléniens, bien sûr ; il faut aimer les grandes asperges bleues et reptiliennes). Bref, ce furent tous les aînés des nobles familles séléniennes qui furent désignés d’office pour aller conquérir des mondes nouveaux.
S’il y eut bon nombre de déceptions parmi les gens du peuple, bien des nobliaux poussèrent de hauts cris devant cette décision arbitraire. La plupart d’entre eux aimaient leur planète malgré ce qu’elle était devenue, chose dont ils n’avaient pas à souffrir puisqu’ils vivaient dans l’opulence et l’oisiveté. Ils ne souhaitaient donc rien y changer, surtout pour aller coloniser des mondes inconnus. Parmi eux, un jeune vicomte du nom de Kaïos Arkos, promis à devenir le suzerain du Comté d’Arkopolis et nullement décidé à céder ses prérogatives à son frère cadet (et handicapé, de surcroît) pour aller guerroyer dans l’espace.
Ce très lointain ancêtre du Roi d’Andropolis chercha longtemps comment échapper à son destin. Il réalisa alors que l’un de ses plus fidèles sujets lui ressemblait comme deux gouttes de vin bleu d’Altaïr une fois bien habillé et bien coiffé. Ce vassal s’appelait Mirkos Onas. Avec l’aide de ses parents qui ne voulaient pas davantage le voir partir, Kaïos fit donner au jeune roturier des leçons par hypnopédie afin qu’il apprenne à se comporter exactement comme lui.
Le stratagème marcha à merveille mais une fois Mirkos parti à sa place, le vicomte Kaïos s’aperçut, un peu tard qu’il n’avait plus sa place sur Séléna où il était censé ne plus ce trouver ! Il fut bel et bien obligé de laisser son contrefait de frère gouverner à sa place. Faute de mieux, il se résolut à remplacer son vassal comme son vassal l’avait remplacé, emprunta l’identité de Mirkos Onas et partit vivre dans la petite maison que le jeune roturier occupait avec ses parents.
Tout le monde étant dans la confidence, chacun joua le jeu à la perfection. Jusqu’à ce que cet imbécile de Kaïos ne trouve rien de mieux à faire que tomber amoureux de Maïa Onas, la propre mère de son remplaçant ! Il faut dire que c’était une femme d’une grande beauté – toujours selon les critères séléniens ! – et qu’elle se sentait bien triste depuis le départ de son fils légitime qu’elle idolâtrait. Elle tomba donc sans grand mal dans les bras de celui qui restait malgré tout le seigneur des lieux. Cette passion contre nature les mena directement à leur perte !
Les deux tourtereaux finirent par être repérés et comme leur comportement n’était tout de même pas très normal pour une mère et son fils, le pot aux roses fut découvert. Furieuse d’avoir été ainsi ridiculisée, la Garde Sélénienne condamna les parents de Mirkos à la mort par désintégration publique pour avoir donné le jour à un usurpateur sacrilège et prêté assistance à un poltron.
Puis, comme on ne condamne pas les nobles gens à mort chez ces extraterrestres bleuâtres et reptiliens, la Garde se contenta de faire embarquer Kaïos dans le premier vaisseau venu. Il y devint le souffre-douleur de tout l’équipage et même l’objet de la concupiscence du Capitaine maître à bord après les Dieux, au point qu’il finit par devenir fou-furieux et par tuer tout le monde là-dedans ! Après quoi il se lança à la recherche de Mirkos qu’il tenait pour responsable de tous ses malheurs. Non mais quel culot que celui des membres de cette famille Arkos ! Ça fait quand même un bon moment que ça dure !
Au bout de plusieurs dizaines d’années relatives,  Kaïos finit à force d’errance et de patientes recherches par retrouver et arraisonner le vaisseau dont Mirkos était finalement devenu capitaine. L’ancien roturier qui ne savait rien de ce qui s’était passé sur son monde natal ne se méfia pas et invita à son bord celui qu’il prenait pour son plus vieil ami. Cela lui valut de se faire embrocher sur un sabre et de mourir avant même d’avoir compris pourquoi !
Après quoi, Kaïos qui avait caboté dans tout l’espace à bord d’un vieux vaisseau fatigué s’arrogea le commandement de ce nouvel appareil et fit même main basse sur Elena, la jeune épouse de Mirkos dont le premier oeuf attendait patiemment d’éclore dans un vivarium. Une chance que Kaïos ne l’ait jamais trouvé, celui-là car je n’aurais pas eu d’ancêtre direct ! Du moins, Kanou n’en aurait pas eu !
Bien décidée à tuer l’ignoble assassin de son époux tout en protégeant son cher oeuf, hâtivement caché, Elena fit mine de céder à Kaïos, attendant le moment opportun pour verser dans son hanap un de ces poisons dont elle était experte. Mais Kaïos était méfiant et il avait réussi à s’attirer la sympathie de certains membres de l’équipage. Elena ne put agir aussi efficacement que prévu. A trop attendre, elle finit par se retrouver avec un nouvel oeuf dans le ventre.
C’est peu de temps après l’avoir pondu qu’elle réussit enfin à empoisonner son infâme compagnon mais ce dernier, qui avait du répondant, réussit avant de mourir à la forcer à boire aussi ! Ils périrent lamentablement dans une étreinte pathétique, lui essayant de l’étrangler alors qu’elle tentait de l’énucléer mais ce fut le poison qui eut raison d’eux. Ne restèrent plus que les deux oeufs qui finirent par éclore à quelques mois d’intervalle. On éleva le petit Arkos comme un noble et le petit Onas comme son serviteur mais la légende voulait qu’il y ait eu confusion entre les deux.
Confusion ou pas, les deux frères furent à l’origine de deux lignées plus ou moins ennemies qui, bien des siècles plus tard, devaient encore conclure un pacte dangereux en unissant bien malgré eux Hélios Arkos Roi d’Andropolis et Ida Onas richissime roturière. On connaissait la suite... Je l’eus pourtant en tête dans les moindres détails, crus revivre mon enfance et ma jeunesse puis perdis de nouveau le fil. J’avais fait le tour de tout, je pouvais passer à autre chose. ...
N’empêche, j’ai de drôles de façons de revisiter les mythes du jardin d’Eden, du fruit défendu, de l’Exode ainsi que de Caïn et Abel, moi !

Les cocons de renaissance.

« - Tu dois impérativement retourner dans ton corps ! »
La voix semblait venir de très loin. Elle était presque imperceptible et ressemblait plus à un grésillement ténu qu’à un véritable appel. Elle réussit toutefois à me tirer d’une douce torpeur dans laquelle je me croyais plongée depuis des siècles entiers,  ce qui, d’ailleurs, était peut-être le cas. Qu’est-ce que le temps, dans l’au-delà ? Quelle valeur a-t-il ?
Je me rendis compte que j’avais de nouveau le sentiment d’être une conscience pleine et entière. J’avais même l’impression d’avoir repris forme humaine. J’étais recroquevillée sur moi-même, la tête en bas mais si bien dans cette position dite fœtale ! Mais au fait, peut-être étais-ce précisément cela ? Peut-être étais-je redevenue un fœtus ? Peut-être m’étais-je déjà réincarnée ?
Non, c’était impossible car je baignais dans une douce lumière à la fois plus forte et plus douce que celle de la lune. Les fœtus de chair et de sang se trouvent vraisemblablement dans le noir le plus complet. Je savais néanmoins que j’attendais de renaître, coincée dans un doux cocon de lumière et d’énergie dont je devinais, sans trop savoir pourquoi, qu’il avait la forme caractéristique d’un haricot. Je me sentais bien dans cette espèce de divin utérus. J’aurais pu y rester une éternité ! C’était probablement ce qui allait se produire, d’ailleurs. Une nouvelle vie se profilait devant moi mais je savais, je sentais que rien n’était pressé et je voyais arriver mon destin avec une intense sérénité, goûtant cette lenteur extrême comme un cadeau suprême
Étrange réaction de la part d’une personne dont la patience n’avait jamais été la principale vertu, de son vivant. Étrange aussi que je me souvienne de ma précédente existence, moi qui avais été si contente de la laisser derrière moi.  Étrange, étrange… Et combien exaspérante était cette petite voix qui ne cessait de tournoyer autour de la tête que je n’avais pas encore en me répétant à satiété que je devais retourner dans mon corps ! Je n’avais plus de corps ! L’ourse l’avait déchiqueté ! A supposer que ce corps-là ait encore existé, il devait être si souffreteux, si abîmé que je ne voulais surtout pas y replonger !
« - Mon enfant, tu as compris la vérité ! Ton corps existe encore ! Délian-Ka n’est pas morte ! Elle ne fut que blessée. Si gravement blessée que Moïa Elle-Même t’a crue morte un instant mais il n’en est rien ! Tu dois sortir de ton cocon de renaissance, Kanou ! Tu mènes déjà deux vies de front ! Tu ne saurais en assumer une troisième ! »
Cette fois, il n’y avait plus seulement la voix (tellement proche de moi qu’elle semblait directement sortir de ma tête) mais aussi un minuscule point lumineux qui tournait autour de moi en  grésillant, insupportable petite braise de nacre, petit photon insolent, exaspérant moucheron lumineux qu m’empêchait de me concentrer sur mon futur destin. J’avais pourtant cru apercevoir des images de la vie qui m’attendait. Une petite fille aux longues boucles brunes. Un cheval. Le ciel bleu de la Terre. Des illusions ?
« - Tu ne dois plus penser à tout cela ! insista la petite voix lumineuse, Une erreur a été commise. Avec vos fichus voyages dans le Temps, tu te trouvais sur deux plans en même temps et Moïa n’a pas perçu tout de suite ce qui t’arrivait ! Tu dois sortir de ce cocon. Entamer une troisième vie serait une aberration ! Sors de là, Délian-Ka, je t’en conjure ! Jamais âme rattachée à une enveloppe charnelle encore vivante n’est allée aussi loin ! Des jours et des mois terriens que je m’évertue à te convaincre d’être raisonnable et que tu ne m’écoutes pas ! Délian-Ka ! Sors de ta transe ! Délian-Ka ! »
Il m’était impossible de ne pas reconnaître cette vois. C’était celle de ma grand-mère. De ma grand-mère Ida qui, lorsque je l’avais retrouvée au royaume des morts n’avait eu de cesse de dire et de répéter que la vie était une abomination ! Voilà maintenant qu’elle voulait me forcer à revivre quand je ne le désirais plus ? Enfin, je voulais bien vivre mais plus dans la peau de Délian-Ka ! La vie de Délian-Ka était une atrocité ! C’est ce que je tentais de lui transmettre d’une pensée aussi calme que possible mais elle insista, me harcelant comme un moustique en été, tournant autour de moi à une vitesse vertigineuse qui réussit à me faire perdre mon calme !
« - Laisse-moi ! Laisse-moi ! » m’écriai-je en tendant mes bras immatériels devant moi, ce qui eut pour effet de rompre la fine membrane de pure énergie qui m’enveloppait jusqu’alors.
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, je me retrouvai en face d’Ida, en train de flotter dans une espèce de néant immense et noir. L’absence de haut, de bas, de profondeur et de gravité me rappela mes incursions dans l’espace intersidéral !
Ida et moi planions l’une en face de l’autre, maintenant. Étais-je devenue aussi petite qu’elle ou avait-elle grandi pour se remettre à mon niveau ? Tout cela n’était-il qu’une vue de l’esprit ? En tout cas, elle n’était plus un simple petit point de lumière mais ma grand-mère telle que je l’avais toujours connue ou presque, jeune et jolie pour sa reptilienne engeance mais comme composée de lumière nacrée. Je rendis mes mains devant moi et les reconnus immédiatement. Ces mains grandes et puissantes qui avaient été les miennes de mon vivant ! Ces longs ongles, ces bras musclés, ces os à peine courbes… Je constatais avec dépit que j’avais repris l’aspect de Délian-Ka ! Qu’il n’était plus question de renaissance, de changement d’aspect ou d’identité. Que Délian-Ka perdurait ! Que j’étais Délian-Ka, encore et toujours !

La grande chaîne de la vie.

Au-dessus de ma tête, il y eut comme un bruit de froissement soyeux. Je regardai en l’air (un artifice car ma qualité de pur esprit me permettait de tout voir et tout entendre sans effort mais je renouais sans le vouloir avec des réflexes purement humains) et découvris que toutes les âmes en attente de réincarnation se trouvaient dans des cocons semblables à celui où j’avais séjourné. Collés les uns aux autres, ces cocons qui étaient effectivement en forme de haricot constituaient comme une double ou triple spirale qui s’enroulait sur elle-même, très semblable, finalement, à une chaîne d’ADN ! Il en sourdait une douce lumière qui pulsait lentement en changeant de couleur telles ces jolies lampes en fibre de verre très en vogue dans les années 1970. Cela apportait un peu de chaleur dans ce néant tout noir.
La chaîne formée par les candidats à la renaissance ressemblait à un immense serpent lumineux tapi au fond d’un océan noir et étrangement silencieux. Toutes ces âmes semblaient également très dépendantes les unes des autres. Quelque chose, dans cet ensemble, évoquait aussi pour moi une ruche et ses alvéoles, le côté angoissant en moins. Qu’une seule âme se sépare de cet édifice aussi impressionnant que fragile et c’était le chaos ! Oh, un chaos lent et mesuré ! Tous les cocons de renaissance se décalaient lentement d’une place, provoquant une espèce de vague lente et douce sur toute la surface de ce savant enchevêtrement ainsi que ce doux bruit de soie que l’on froisse. Un vague soupir d’exaspération dans la grande chaîne de la vie !
Après s’être ainsi lentement ébroué, le grand serpent de mer constitué de milliards de petits haricots lumineux et multicolores renfermant des âmes s’éloigna majestueusement dans l’immensité noire, comme offensé par ce chamboulement à la fois majeur et imperceptible.
Je le regardai disparaître avec cette espèce de lenteur solennelle et dédaigneuse, me demandant si le mythe de Quetzalcóatl ainsi que l’histoire de Jack et du Haricot Magique ne venaient pas simplement de là !
Je suis sûre qu’en lisant cela , des gens seront prêts à jurer que je me drogue pour en arriver à de tels délires ! Je jure devant Moïa que ce n’est pas vrai ! Où alors on injectait tellement de morphine dans mon corps inerte demeuré sur Moïa Bokhra que le résultat est ici visible !

Révélations.

Ce moment de pure fascination écoulé, je me tournai vers Ida, furieuse.
« - Regarde un peu ce que tu as fait ! protestai-je, Me voilà redevenue Délian-Ka ! A cause de toi, je ne peux plus renaître !
- Tu renaîtras d’une certaine façon. répondit calmement celle qui, pur esprit ou pas, demeurait ma grand-mère, Tu vas retourner dans ton corps et cela ressemblera beaucoup à une renaissance, en effet !
- Qu’est-ce que tu racontes ? m’écriai-je, Je n’ai plus de corps ! Plus du tout ! L’ourse m’a déchiquetée et mes amis m’ont enterrée ! Je les ai vus !
- Tu les as vus prier à l’endroit où tu as failli perdre la vie. rectifia-t-elle, Tu en as conclu qu’ils t’avaient enterrée à l’endroit où tu étais morte mais rien n’est plus faux, enfant ! Ils cherchaient simplement à rappeler ton âme en formant un puissant égrégore à l’endroit même où le drame a eu lieu.
- Rappeler mon âme ? répétai-je, abasourdie, Mais s’ils avaient vraiment cherché à me cloner, je l’aurais senti !
- Mais qui parle de te cloner ? demanda Ida, Ils n’avaient pas à te cloner puisque tu es encore en vie ! L’ourse ne t’a pas tuée, comment faut-il te le dire, petite tête de pierre ? Tu as survécu grâce à un véritable miracle et tu erres loin de ton corps depuis plus de deux mois terriens ! Ce corps qui n’attend plus que toi pour reprendre totalement vie !
- Eh bien il attendra longtemps ! décrétai-je, Pas question que je réintègre une enveloppe charnelle déchiquetée ! J’ai vu ce que l’ourse en a fait ! C’est un corps pareil que vous voulez me faire réintégrer ? Si ça se trouve, je souffre de handicaps irrémédiables ! Sûrement, même, puisque tu as dit que mon retour à la vie allait ressembler à une nouvelle naissance ! Et vous voulez me forcer à vivre dans ces conditions ! Une invalide défigurée peut-être aveugle, sourde, muette ou paralysée ? Tout en même temps, si ça ce trouve ! C’est ça le genre de vie que vous voulez m’offrir ? C’est ça, votre deuxième chance ? Merci bien mais je vais te dire ce que j’en pense, moi ! C’est de l’EXPERIMENTATION PURE ET SIMPLE ! Ils ont voulu voir comment ça survivait même dans un état pareil, ces bêtes-là ! Même en se prétendant nos amis, ces putains d’hommes du XXX° siècle de merde sont les pires ordures de la création de Moïa ! Ils ne voient en nous que des objets d’étude et de curiosité ! Je trouve ça abject ! Mais ma parole, ils sont de l’autre création, oui ! 
- Tais-toi, ne parle pas comme ça ! s’écria-t-elle, affolée, Nous flottons en ce moment dans une dimension intermédiaire entre le domaine de ta Moïa et celui de Taïa-Araakh ! Tu n’as qu’à continuer comme ça, si tu veux qu’elle vienne !
- Eh bien, justement… commençai-je.
- Viens, ça suffit ! dit-elle en me prenant par le bras, Ce n’est pas un bon endroit pour discuter de choses pareilles ! »
Nous planâmes à une vitesse vertigineuse jusqu’à un vortex lumineux où nous nous engouffrâmes avant de reprendre notre conversation plus calmement.
« - Ne me fais plus jamais des peurs pareilles, Délian-Ka ! avertit d’emblée Ida.
- Tu crois que moi je n’ai pas peur ? demandai-je, L’idée de regagner un corps polytraumatisé pour reprendre là où je l’ai laissée une vie qui me rend malheureuse comme les pierres ne me dit rien ! Je me demande si je ne préférerai pas le sein putride de la Mauvaise !
- Tais-toi, malheureuse ! s’écria Ida, Tu pourrais exaspérer Moïa et alors, si Elle te prenait au mot…
- Ne crois-tu pas que c’est ce qu’Elle s’apprête à faire ? insistai-je, Je me suis vue après l’attaque de l’ourse ! J’étais irregardable ! Pas un endroit de mon corps qui n’ait été épargné par ses griffes et par ses dents ! Si je ne suis pas handicapée, je serai monstrueuse au point de terrifier mes propres enfants ! C’est ça, le genre de vie que l’on me propose ? Et mes amis qui n’ont même pas essayé de me faire cloner ! S’ils tiennent à me maintenir en vie, qu’ils me rendent présentable et valide ! Ou qu’ils me fassent passer dans le Métamorphos ! S’ils ne font rien de tout ça, j’en viendrai à trouver l’ourse qui m’a attaquée plus humaine qu’eux !
- Mais Délian-Ka il est impossible de te cloner ou de te faire passer dans le Métamorphos ! assura Ida, Figure-toi qu’ils y ont pensé avant d’envisager quoi que ce soit d’autre mais c’était impensable !
- Mais pourquoi ? insistai-je, impatiente.
- Parce que tu es enceinte, Délian-Ka ! répondit Ida, me regardant fixement, C’est pour ça que tu dois vivre. »
Si j’avais eu du sang dans les veines, nul doute que je me serai sentie pâlir !
Je restai interdite pendant un bon moment avant de me sentir de nouveau gagnée par la fureur.
« - Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? m’écriai-je, Je serais enceinte ? Et c’est pour ça que je dois vivre ? C’est nouveau, ça ! Ce n’est absolument pas une raison ! Il y a des tas de femmes enceintes qui meurent de par le monde ! Personne ne vient leur dire :  « -Désolée, petite, tu es enceinte ! Tu ne peux décemment mourir ! Nous allons te renvoyer parmi les tiens ! ». Ce serait trop beau ! On dit que même une fille aussi bien placée que la Princesse Diana était enceinte quand elle est morte alors vous pensez bien que moi, pauvre anonyme de Néanderthal…
- Délian-Ka, la Théorie du Complot n’a pas sa place ici ! tenta Ida, Et de toute façon, cette femme dont tu parles est bel et bien retournée dans le monde des vivants puisqu’elle est à Gamma !
- Pas à moi ! rétorquai-je, Je ne me contenterai pas de ce genre de pirouette ! Enceinte ou pas, je veux et j’exige ma propre mort ! Je l’ai bien méritée, tu entends ? Je revendique mon droit de trépasser ! J’EXIGE DE MOURIR MAINTENANT !!! Et le foutu bâtard qui me squatte EGALEMENT !!!  Je n’ai que trop sacrifié ma vie pour des enfants ingrats ! Je ne sacrifierai pas ma mort pour un autre ! Ça non, alors ! C’est tout ce qui me reste ! On ne me le prendra pas ! Je veux crever, vous entendez ! Je veux crever TOUT DE SUITE ! MAINTENANT ! JE VEUX CLABOTER ! CLAMSER ! PASSER L’ARME A GAUCHE, VOUS ENTENDEZ ????????? » achevai-je, folle furieuse, donnant des coups de pieds dans la lumière nacrée.
Qu’il est difficile de convaincre une forte-tête !
Assise sur ce qui semblait être un tas de poussière céleste, Ida me regardait d’un air indulgent et amusé.
« - Voilà bien le genre de réaction d’une mortelle encore puissamment rattachée à son corps ! Si tu te voyais ! Tu cries, tu bouges inutilement, tu donnes des coups de pieds, tu t’agites...
- Et toi, si tu te voyais ! répondis-je avec agressivité, Tu es assise ! Si tu crois que ce n’est pas une attitude de mortel, ça ! Fière comme tu l’es d’être réduite à l’état de pur esprit, tu devrais flotter dans les airs !
- Je suis en train de renouer avec des réflexes humains car ta Moïa m’a chargée d’une nouvelle existence ! annonça-t-elle, l’air serein.
- Tu veux dire que tu vas te réincarner ? demandai-je, calmée pour le compte.
- C’est exactement ça. répondit Ida.
- Eh, c’est injuste ! protestai-je, Moi, je veux rester ici et on veut me forcer à regagner un corps mutilé et toi qui trouves que la vie est une aberration, on veut te réincarner aussi ? Qu’est-ce qui lui prend, à Moïa ? Elle ne veut pas garder ses meilleurs sujets auprès d’Elle ? Elle fait une indigestion d’âmes pures ?
- C’est que je suis bien loin d’être une âme pure. sourit Ida, J’ai commis bien des erreurs dans mon ancienne vie.
- Allons ! fis-je, venant m’asseoir près d’elle.
- J’ai trompé Hélios, mon époux. avoua-t-elle, Très souvent et très longtemps. Avec un homme qui s’appelait Althis Malenkor et qui était son pire ennemi. Je crois qu’Hélios s’est douté de quelque chose à un moment mais il a pensé que Malenkor m’avait subornée.
- Il m’avait parlé de ça, en effet. admis-je.
- C’était peut-être vrai la première fois mais... pas les autres fois ! poursuivit-elle, C’est avec Althis que j’ai découvert les joies de la chair que le pauvre Hélios n’avait jamais réussi à me révéler. Et j’ai follement aimé Althis pour ça. J’ai soupçonné longtemps qu’Héra était la fille de ce dernier, Hélios s’avérant le dernier membre d’une famille plutôt dégénérée, tout de même ! Il a fallu que j’arrive ici pour que Moïa me le confirme. Hélios était stérile et Héra était bien la fille d’Althis ce qui fait qu’elle n’a pas plus de droits que toi sur le Royaume d’Andropolis.
- Stérile ? fis-je, soudain assaillie par des souvenirs terribles.
- En effet. dit-elle, Et cette petite fille née d’un amour véritable, j’ai dû l’abandonner aussi à cause des prétentions de son géniteur qui avait tout compris et voulait nous récupérer toutes deux !
- Pourquoi ne pas être partie avec lui, si tu l’aimais ? demandai-je, très midinette.
- Mais, Délian-Ka tu n’y penses pas ! s’écria-t-elle, J’étais la Reine d’Andropolis. Je ne pouvais partir sur un simple coup de cœur !
- Reine ou pas, j’aurais tout abandonné pour l’homme de ma vie, j’en suis sûre ! insistai-je.
- C’est compliqué ! soupira Ida, On m’avait mariée de force à Hélios ! Mon père avait été ennobli pour avoir sauvé le royaume de la ruine ! Un titre de noblesse ronflant contre une dot confortable qui sauvait Andropolis du marasme ! En attendant, tout le monde se fichait bien de ce que je pouvais penser ! Si j’avais tout quitté, mon père serait retombé dans la roture et il ne me l’aurait jamais pardonné ! J’avais peur de ça quand j’étais jeune ! Qu’il me retrouve et me punisse sévèrement comme il savait si bien le faire ! Plus tard, quand il s’est agi de m’enfuir avec Torah, je ne me suis pas tant posé de questions, preuve que c’était sûrement lui, le plus valable de tous. Mais du temps d’Althis... Par les Dieux, si j’avais fait ça, Hélios aurait sûrement fait lever une armée contre les Terres du Sud dont Althis était le Duc.
- Tu étais libre de choisir, tout de même ! protestai-je, Il n’aurait pas fait tant d’affaires si l’envie lui avait pris de te répudier !
- Certes, mais il n’avait visiblement pas cette envie-là. dit-elle, Lui aussi m’avait épousée sans amour mais il avait quand même de la tendresse pour moi. Surtout depuis que j’avais pondu cet oeuf ! Althis, par contre, était caractériel, violent, ombrageux... Ce n’était pas vraiment sa faute. Il avait fait une chute de cheval lors d’une chasse à l’esclave à Atlantis et avait failli y laisser la vie. Il ne s’en était jamais totalement remis, demeurant souffreteux et versatile. Je ne pouvais pas vivre avec un être pareil même si je l’aimais. D’ailleurs, ce n’était pas vraiment de l’amour : plutôt un mélange de pitié et de sensualité. Ça ne suffisait pas. J’aurais toujours eu plus ou moins peur de lui et je ne voulais pas qu’il élève notre enfant. Je doute aujourd’hui d’avoir eu raison. La présence d’Héra dans sa vie l’aurait peut-être rendu plus sociable. J’ai sûrement fait le mauvais choix en privant Héra de son père et Althis de sa fille. Bien involontairement, d’ailleurs ! Mais j’ai rendu tout le monde malheureux autour de moi et je crois bien que tous ces gens seraient devenus moins méchants par la suite si je n’avais pas tant commis d’erreurs. Héra, par exemple ! Si j’avais pu l’élever, jamais elle ne serait devenue ce qu’elle est devenue ! Jamais elle n’aurait torturé Alkor par plaisir comme elle l’a fait, enfant et donc, jamais Alkor ne serait devenu fou et ne t’aurais rendue malheureuse à ce point-là ! Tu racontes à qui veut l’entendre que j’étais la meilleure des femmes, tu me voues un véritable culte mais tu as tort, Délian-Ka ! Je suis la responsable de bien des malheurs y compris de bon nombre des tiens ! Quelle idée j’ai eue de fuir l’Atlantide avec Torah ! Il est mort à cause de moi ! Et quelle folie d’avoir à ce point insisté pour avoir un enfant de lui ! Lui ne voulait pas. Il était raisonnable, pauvre Torah ! Et les Dieux lui donnaient raison, qui avaient rendu cette chose impossible ! Mais j’ai réussi à le faire céder, à contourner les lois de la nature et à soudoyer un savant quelque peu dépravé afin qu’il m’aide à porter l’enfant de mon esclave ! Ténah est née de cette abominable expérience ! Elle aussi a été bien malheureuse à cause de moi ! Je l’ai aimée, certes ! Je l’ai chérie comme je n’avais pas pu chérir sa sœur mais à cause de son métissage, ta mère a souffert terriblement ! Elle n’a jamais été acceptée par la tribu où elle est née et n’a pu avoir l’homme qu’elle aimait ! Et toi, ça a bien été pareil, ma petite Délian-Ka ! Tu as pâti de ce métissage qui n’était même pas naturel mais crée ni plus ni moins par la folie des savants atlantes ! Cette folie dont je me suis servie pour satisfaire un désir de maternité égoïste !
- Mais j’ai été heureuse dans cette vie-ci ! protestai-je en lui prenant les mains, Et ma mère aussi ! Sais-tu qu’elle a enfin retrouvé Tohar et qu’ils vivent heureux dans une tribu de Moharn dont elle est devenue la Séritha ?
- Je le sais et j’en suis heureuse. répondit Ida, Mon âme a trouvé un semblant de repos, depuis. Je sais qu’Héra a pu, elle aussi épouser l’homme qu’elle avait choisi depuis longtemps et qu’elle s’est vouée au bien en devenant Prêtresse de la Sagesse et en méditant fréquemment afin d’implorer le pardon pour tout le mal qu’elle a fait et dont elle est aujourd’hui consciente. Reste toi, Délian-Ka !
- Moi ? répondis-je, Mais j’ai eu une vie incroyable que je n’aurais probablement pas connue si je n’avais été quarteronne d’Atlante ! Même l’amitié de Wang-Ka, je ne l’aurais pas eue puisqu’il paraît que ce sont mes couleurs bizarres qui l’ont fascinée et incitée à s’approcher de notre campement. Sans ça, elle ne serait jamais revenue parmi les humains. C’est du moins ce qu’elle dit partout. Alors tu vois que ce métissage a pu avoir une utilité s’il a incité une petite fille sauvage et perdue à ne plus fuir la société des hommes ! Et même à devenir la plus grande défenderesse du genre humain ! C’est peut-être grâce à ce métissage, finalement, et à ce que tu crois être ta folie que les Gardiens des Siècles ont pu exister !
- Tiens donc ! sourit Ida, Je croyais que tu avais eu une vie épouvantable et que Wang-Ka et ses amis étaient en grande partie responsables de tous tes malheurs.
- Il y a eu de mauvais moments mais il y en a eu de bons. Il faut être honnête. admis-je.
- Honnête, en effet. répéta-t-elle, Tu as prononcé le mot exact. Et c’est précisément pour devenir quelqu’un d’honnête et alléger un peu le poids de mon karma que je m’apprête à renaître. Simplement, je ne serais pas en mesure de m’incarner à nouveau tant que tu seras parmi nous !
- Ah bon ! fis-je, indignée, Et peut-on savoir pourquoi ? En ce qui me concerne, je ne vois pas du tout le rapport !
- Depuis que je suis morte, dit-elle, je suis chargée de veiller sur ton destin et celui de ta mère. J’ai marché à vos côtés, invisible et attentive pendant toutes ces années !
- Il y a eu des moments où tu as sacrément oublié de faire entendre ta voix ! râlai-je, repensant à l’histoire contestable de Zénaï, mon demi-frère à qui l’on m’avait mariée sous les yeux de notre mère à tous les deux sans que celle-ci ne cherche à empêcher quoi que ce soit alors qu’elle se doutait bien de quelque chose.
- Je sais à quoi tu penses et j’en suis désolée. soupira Ida, Ce n’est pas que je n’aie point tenté d’intervenir, bien au contraire ! J’ai fait de mon mieux et j’ai échoué. Une fois de plus ! Mais à présent Ténah est heureuse, je sais qu’Héra l’est aussi... Reste toi ! Toi qui désobéis aux ordres de Moïa en refusant de regagner ton enveloppe  charnelle ! Qu’allons-nous faire de toi ?
- Moïa ne m’a donné aucun ordre ! objectai-je, souveraine, Si Elle a quelque chose à me dire, qu’Elle se présente à moi et me signifie clairement Ses intentions !
- Comment peux-tu parler ainsi d’une déesse que tu es censée redouter ? s’écria ma grand-mère, horrifiée.
- Moïa, je l’ai vue des tas de fois et Elle ne m’impressionne pas ! lançai-je, pleine de défi, C’est un fantoche né de la foi des autres qui change d’opinion comme de couleur ! Je ne crains pas Ses colères qui ne sont d’ailleurs pas les Siennes mais celles d’un genre humain avec lequel je ne veux pas renouer. Tant qu’on me laissera le choix entre flotter dans une lumière pleine de douceur, de chaleur et d’amour ou me retrouver coincée dans un corps enlaidi et souffrant, je choisirai la première solution, j’espère que tu le comprends !
- Mais ta place n’est pas ici, Délian-Ka ! s’écria Ida, Tu as encore bien des choses à réaliser durant l’existence qui s’offre à toi !
- Oui, mettre au monde un gosse dont je ne pourrai pas m’occuper et qui sera donc malheureux ! J’aime autant que ça n’arrive pas et que ce pauvre petit ne vienne jamais au monde ! protestai-je.
- Mais qui es-tu pour décider ? s’emporta l’Atlante, se levant d’un coup.
- Je suis moi-même et j’ai décidé que je serai la seule à prendre mon destin en main ! Ni Dieu ni Maître, non mais alors ! rétorquai-je, me levant à mon tour.
- Le seul problème est que tu ne peux décemment décider de ton destin toute seule car tu n’es pas indépendante ! martela Ida, Depuis que je suis morte, je te l’ai dit, j’ai fait office d’ange gardien pour ta mère et toi. Et lorsque tu es arrivée parmi nous à la suite de ce terrible épisode avec l’ourse, j’ai été chargée de guider tes pérégrinations dans l’au-delà ! Mais il n’a jamais été question que nous restions là pour l’éternité.
- Mais je ne t’empêche pas de te réincarner, moi ! répliquai-je avec impatience, Tu peux me lâcher, maintenant ! Je connais la maison !
- Bien sûr que si, tu m’empêches de me réincarner ! Et bien sur que non, tu ne connais pas cet endroit aussi bien que tu le crois ! Tu es une mortelle, Délian-Ka ! UNE MORTELLE ! Et tous les mortels qui se toquent de vouloir séjourner trop longtemps ici sèment un véritable chaos en voulant tout voir, tout explorer, tout expérimenter ! Toi, je te connais ! Tu vas tenter de t’incarner de nouveau et n’importe comment pourvu que ce ne soit pas en Délian-Ka ! Mais Délian-Ka vit encore et risque bien de s’éveiller un jour et alors, comment feras-tu pour mener de front trois vies ? Pour t’occuper des enfants à naître ? Et pour gérer le cas de Mimi ? Y as-tu pensé une seconde, à Mimi ?
- Oui, j’y ai pensé et elle est absolument ravie d’être enfin délivrée de mon emprise involontaire ! annonçai-je fièrement.
- Certes mais depuis elle n’a que des ennuis, du stress, des désillusions, un travail qu’elle n’assume plus ! énuméra Ida.
- Elle vit une existence on ne peut plus normale pour une femme du XX° siècle. arguai-je.
- Elle s’en lassera car ton âme bouillonne toujours en elle, qu’elle le veuille ou non ! dit Ida, Elle ne saura se contenter longtemps d’une existence si banale car elle est toi comme tu es elle ! La normalité, l’ordinaire, le quotidien ne sont pas faits pour vous !
- Si je change d’existence et que je laisse mourir Délian-Ka... commençai-je.
- Mais Délian-Ka ne mourra pas ! m’interrompit la Silnienne, Pas avant longtemps, en tout cas ! Moïa a encore besoin de toi parmi les vivants ! Elle a des milliers de projets pour toi !
- Oui, et me faire tomber enceinte alors que je suis encore dans le coma fait partie de ses divines initiatives ! me rembrunis-je (ce qui chez moi était un exploit), Grand-mère, je t’ai entendue dire qu’il n’y avait pas un mais deux enfants à naître... Je ne pourrai pas, tu le sais bien ! L’idée d’attendre un bébé dans ces conditions me terrifiait déjà alors... s’il y en a plusieurs... Comment pourrai-je les élever ? Comment pourrai-je seulement les mettre au monde ? Si ça se trouve, je ne pourrai rien faire de tout ça !
- Mais il n’y a pas que ça ! dit Ida, Tu as aussi des choses à faire parmi les vivants. Tu as fait une promesse à quelqu’un, rappelle-toi.
- Oui, dis-je, J’avais promis à un homme moderne de le ramener chez lui. Je croyais avoir réussi puis il est reparu et il y avait cette ourse... Par Moïa, mais c’était qui, déjà ?
- Tu ne t’en souviens plus ? demanda Ida, intriguée.
- Non. dis-je, C’est terrible. Il y avait aussi... Une autre promesse... Je ne sais plus... C’était pourtant important ! Grand-mère pourquoi est-ce que je ne me souviens de rien ? demandai-je, sincèrement inquiète.
- Pour la meilleure raison du monde. sourit-elle, Tu n’as plus de cerveau. Tu n’as donc plus de mémoire.
- Mais toi, tu te souviens de tout ! objectai-je.
- Parce que l’intégralité de mon âme se trouve ici ! expliqua-t-elle, Il n’y a pas, quelque part dans l’Univers, de corps encore vivant qui me rappelle à lui et garde pour lui une part de ma conscience !
- Ne recommence pas avec ça ! Je ne retournerai pas là-bas ! assurai-je.
- Tu as tort. dit-elle, La vie qui t’y attends est magnifique. Et moi, je n’aurai pas le droit de me réincarner tant que je n’aurais pas su te convaincre de regagner ton enveloppe charnelle.
- Du chantage, maintenant ! Ça nous manquait ! boudai-je.
- Mais non, ma fille ! Il ne s’agit absolument pas de chantage mais des plans de Moïa ! Je sais que tu en as assez de souffrir et Moïa le sait aussi. Mais justement ! L’existence qui t’attend sera autrement sereine ! Ce ne sont pas des mensonges pour te faire céder ! C’est la vérité, Kanou ! Ceci était la dernière et la pire des épreuves que tu avais à surmonter pour gagner enfin le bonheur et le respect qui te sont dus ! Regagne ton corps, je t’en supplie ! Sans quoi je serai obligée de séjourner ici avec toi pour te surveiller en permanence afin que tu ne commettes pas d’erreur !
- Non ! dis-je, La pire des erreurs serait de retourner là-bas ! Il y a encore une menace ! Quelque chose de terrible qui menace les bases ! Quelque chose de tout proche de moi ! Je ne sais plus ! Si ça se trouve, c’est l’enfant que je porte ! Oh, Ida s’il te reste un peu d’amour et d’affection pour moi ne me force pas à retourner là-bas mais aide-moi plutôt à en finir !
- Je ne peux pas faire ça ! s’écria-t-elle, horrifiée.
- Bien sûr que si, tu le peux ! Si j’accepte de retourner près de mon corps à   ce sera seulement pour abréger les souffrances de ce dernier ! Il y a bien un moyen de rompre le contact entre une âme et son corps, n’est-ce pas ?
- Il y en a un, en effet ! dit Ida, le regard perdu dans la lumière.
- Et si je te demandais de m’aider à rompre ce lien ? proposai-je.
- Mais tu n’y penses pas ! s’écria-t-elle, Moïa le saurait et me punirait sévèrement ! Et toi aussi ! En guise de réincarnations, nous pourrions bien nous retrouver toutes deux dans les tentacules de Taïa-Araakh !
- Mais non ! insistai-je, Personne ne saurait ! Que toi et moi ! Et puis ce n’est pas d’un meurtre qu’il s’agit mais d’un service rendu ! Par Moïa, tu ne sembles pas savoir dans quel état se trouvait mon corps avant que je ne rejoigne ce monde !
- Et toi, sais-tu seulement dans quel état il se trouve à présent ? demanda-t-elle en me regardant fixement, Tu vas peut-être beaucoup mieux que tu ne crois ! Tu pourrais même être agréablement surprise.
- Alors ça, je demande à voir ! fis-je.
- Eh bien voilà enfin une parole sensée ! déclara Ida, souriante, Allons voir !
- Très bien. Nous y allons ! Mais je te préviens ! Pas d’entourloupes ! »
Un vortex lumineux, plus lumineux encore que l’univers dans lequel nous flottions, s’ouvrit devant nous comme je prononçais ces mots. Il avait une douce couleur vert pâle et une sorte de texture liquide. Nous y plongeâmes avec délices. L’instant d’après, nous nous retrouvâmes devant un écran lumineux qui nous indiquait en clignotant où nous étions et quand.

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