lundi 9 mars 2009

Inspiration enrhumée #2

La famille Mac Villard vivait dans les Rocheuses depuis quelque mois, à garder cet étrange enfant qu'on leur avait confié en leur demandant d'en prendre très grand soin et de lui donner le plus d'amour possible.

Madame Mac Villard, mère de six enfants qui, grandissant dans un quartier difficile de Los Angeles, menaçaient de tourner aussi mal que ce qu'avait fait leur père qui n'avait dû qu'à une formidable opportunité de se sortir de ses galères, étaient à présent obligés de vivre dans la Nature, loin de tout, et, curieusement, là, ils apprenaient tout un tas de choses passionnantes, à la découverte de la nature sauvage du nord ouest des États-Unis, dans l'Orégon. Comme ils étaient loin de tout, à deux jours de marche de la route la plus proche, dans un cirque naturel entre deux sommets enneigés éternellement, et au sein d'une immense forêt de pins et de séquoias, un vaste territoire où ours et toutes sortes de bêtes vivaient, territoire des mythiques Sasquatchs et Wendigos, les gamins n'avaient plus aucun moyen de commettre des bêtises inqualifiables qui les auraient, tôt ou tard, jetés en prison, voire menés à la peine de mort. Le P.D.G. de la firme, Monsieur Wilford Priest, leur envoyait des précepteurs tous les jours, via un hélicoptère privé, et les gamins étaient donc obligés de suivre une instruction poussée, en dépit de tout. Ils rattrapèrent même un grave retard scolaire, et on découvrit que les petits derniers, des jumeaux de sept ans, étaient dyslexiques. Les précepteurs prirent donc plus de temps pour s'occuper d'eux, et bientôt, ils rattrapèrent eux aussi leur retard. Pendant qu'ils suivaient leurs leçons ou qu'ils jouaient dehors dans la grande clairière qui se trouvait devant le chalet, non loin d'un lac grouillant de saumons succulents et d'ombles chevaliers, de truites énormes et délicieuses aussi, Prudence Mac Villard, ou Jeffrey, son époux, s'occupaient de Vince. Le bébé était paisible, calme, et d'une intelligence précoce. A deux mois à peine, il tenait déjà sa tête sans souci, et il commençait à vouloir ramper à quatre pattes partout ! La nuit, par contre, c'était une tout autre chanson : le petit faisait de la terreur nocturne, visiblement hanté par d'épouvantables cauchemars, et les parents Mac Villard, dont il était devenu le fils adoptif, grâce à quelques arrangements administratifs et pots de vin généreusement distribués à droite et à gauche, le rassuraient tour à tour. Quand il finissait par se rendormir, enfin calmé, la maison redevenait paisible jusqu'au matin. Mais toutes les nuits, le pauvre petit se réveillait en hurlant, et Jeffrey finit par installer une petite veilleuse dans la chambre de l'enfant, et Prudence par lui donner un T-shirt imprégné de son odeur, pour le rassurer.

Mis à part cela, c'était un enfant adorable et attachant, qui grandissait à vue d'œil. Il resplendissait de santé, et ses yeux bleus de nouveau-né cédaient la place à des yeux d'un bleu-vert, presque turquoise, absolument fascinant et magnifique. Le petit rouquin était aimé de tous, et même ses frères adoptifs étaient doux et gentils avec lui, et il le leur rendait bien... A deux mois à peine, il reconnaissait son petit monde et dédiait à chacun un sourire édenté ou riait aux éclats, ravi de quelque câlinerie ou chatouille. Les Mac Villard étaient conquis par ce bébé extraordinaire qui était si adorable.

Un beau jour, Prudence, qui lui donnait son biberon, lui dit, gentiment :

"- Mon petit Vince, même si tu n'es pas mon fils, au départ, je t'aime tout autant que si tu étais réellement né de moi ! Tu es un amour, et je t'adore ! En plus, à deux mois, tu es presque aussi avancé qu'un gamin de six mois ! Tu n'es vraiment pas un modèle ordinaire, toi, vraiment pas, mais je t'adore comme tu es ! Quand je pense d'où tu sors, et comment ces savants t'ont créé, et à partir de quoi ils t'ont créé, pauvre de toi, c'est une histoire de fous ! Heureusement que Monsieur Priest s'est rendu compte de sa folie, et tant lui que nous, nous ferons tout pour que tu vives le plus heureux et tranquille, mon chéri !".

Le bébé regardait intensément sa mère adoptive, et, soudain, ses yeux s'illuminèrent d'un feu vert-bleu, exactement comme le font ceux des animaux nocturnes, ce à quoi les préhistoriens ne se seraient jamais attendus, mais les Mac Villard savaient que ça lui arrivait, ils avaient déjà vu ce phénomène chez l'enfant, et ne s'en effrayaient pas, pensant avec raison, que c'était une originalité que l'Homo sapiens avait perdue. Soudain, Prudence ressentit une violente émotion pleine d'amour et de paix, et elle entendit ceci dans sa tête, comme le mille de son front la démangeait soudain :

"Je t'aime aussi, Maman ! Je vous aime, à tous !

- Mais.. . Je rêve ? Tu es télépathe ? Mais c'est impossible, je rêve ! je dois être fatiguée ! dit la pauvre femme, sidérée.

- Je ne suis pas comme vous autres. Je le sais. Je sais que je peux faire ça, et pas vous. Mais je vous aime quand même ! transmit à nouveau l'enfant, souriant, ses yeux extraordinaires rivés sur ceux de sa mère adoptive.

- Mais... Et ces mauvais rêves, la nuit ? demanda-t-elle, étonnée.

- Je les fais toujours. Je les fais tout le temps quand je dors ! Mais je sais que je ne dois pas avoir peur, parce que vous êtes là pour moi ! transmit-il.

- Mais, et de quoi rêves-tu ?

- Des gens horribles, sales et méchants, qui veulent me tuer et me manger... Et qui le font !!!! Je ne sais pas comment c'est arrivé, mais j'étais mort et je suis revenu, ici ! transmit l'enfant.

- Seigneur ! C'est effrayant ! Si j'étais superstitieuse, je croirais que tu es un démon, ma parole ! Mais je sais bien que ce n'est pas le cas... Que tu te souviens de ta vie autrefois... Ça alors ! Oh, mon chéri, je ne sais pas si tu pourras parler comme nous autres, plus tard, mais quand tu seras plus grand, j'espère qu'on pourra t'aider à chasser ces horribles souvenirs, ou du moins, à les mieux supporter ! Ça alors ! Tu n'es pas un bébé préhistorique, toi... Tu es un bébé magique ! Les savants n'ont jamais imaginé que les petits comme toi pouvaient être aussi intelligents, avoir des dons si étonnants, et, surtout, se rappeler des choses aussi bizarres que toi ! dit Prudence, sidérée.

- Je crois qu'avant, j'étais une sorte de magicien, un peu comme dans les histoires que tu racontes, le soir, pour m'endormir ! J'aime tes histoires, Maman !

- Tu n'aimes que mes histoires ? demanda-t-elle, émue et taquine.

- Non, j'aime bien Papa aussi, puis Jeffray Jr, Marvin, Ella, Michelle, Kevin et Joe aussi ! Je vous aime tous, je ne vous quitterai jamais ! transmit le bébé.

- Nous ne te quitterons jamais non plus ! Nous serons toujours là pour toi, je te le jure ! dit Prudence, l'embrassant.

- Super !".

Et, comme cet échange télépathique l'avait quand même fatigué, il s'endormit, doucement, dans les bras de la brave femme bouleversée qui raconta à toute sa famille l'extraordinaire événement.

Quelques mois passèrent encore. Vince galopait à présent partout, et commençait à parler couramment, dans un anglais même plutôt châtié, très surprenant dans la bouche d'un enfant de cet âge, a fortiori d'un petit Néanderthalien. Monsieur Priest savait qu'il lisait dans les pensées, et qu'il avait des talents surprenants, ainsi qu'une intelligence remarquable, et qu'il grandissait plus vite que les enfants modernes. A tout juste un an, Vince paraissait presque dix-huit mois. Et il parlait comme un enfant de cet âge-là, mieux, même. Visiblement, les capacités d'apprentissage des Néanderthaliens étaient plus rapides que celles des modernes, probablement en accord avec leur croissance plus accélérée aussi. Avoir des capacités d'apprentissage rapides, soit... Mais c'est qu'en plus, Vince était d'une intelligence stupéfiante ! Mais il était d'une nature douce et paisible, et il observait tout ce qui se passait autour de lui, avec une sorte de détachement étonnant, une grande sérénité, avec son regard qui semblait contenir toute la sagesse du monde.

Et quand il partait s'ébattre dehors avec ses frères et sœurs, il était toujours prêt à la moindre bêtise, riant aux éclats, faisant des farces... Même petit comme ça, il était costaud, et il courait très vite. Un jour, même, il entreprit, à la grande horreur des autres gamins, de grimper à un arbre, et il y parvint sans tomber, se mettant à califourchon sur une branche basse qui était bien à deux mètres du sol ! Alors que l'aîné des gamins s'apprêtait à l'aider à redescendre, le loupiot redescendit de lui-même, sans aucune difficulté ni peur !

Les autres aussi, grimpaient aux arbres, mais ils étaient loin d'avoir l'aisance de Vince ! Et quand ils suivaient leurs cours, Vince, dessinant dans un coin avec des couleurs lavables à l'eau sur des feuilles de papier d'imprimante mal sortis de l'appareil et donc inutilisables par la suite, écoutait d'une oreille distraite ce qu'apprenaient ses frères et soeurs. Les précepteurs, mandatés par le trust, savaient qui étaient Vince, et ne s'attendaient pas à ce qu'il fît des étincelles...

Pourtant, Michelle, un jour, sécha devant la table de multiplication par 9, et Vince, qui venait d'avoir deux ans, récita la chose, sans se tromper, sous les regards stupéfaits de tout le monde ! Sidéré, le précepteur, médusé, demanda à Vince s'il comprenait ce qu'il récitait... Et le gamin, tranquille, de répondre; gracieux, qu'en fait ce n'était pas difficile, il suffisait d'ajouter neuf à chaque fois !

Du coup, le petit se retrouva en cours avec les autres, et apprit à lire, écrire et compter avec une déconcertante facilité !

A trois ans, il en paraissait cinq, et il avait l'intelligence d'un enfant de sept ou huit ans... Il rattrapait les autres enfants Mac Villard, au grand étonnement ravi de tous, augmentant sans le savoir les remords de Wilford Priest, qui se demandait, de plus en plus, quelle serait la place dans le monde moderne de cet être préhistorique à l'intelligence foudroyante et aux dons paranormaux remarquables ! Car, non seulement le petit garçon était télépathe, mais il avait plusieurs fois eu des intuitions stupéfiantes et des visions du futur ou du passé ! Et les animaux de la forêt venaient à lui, confiants, comme attirés par une force irrésistible, même les ours et les loups !

Lors de cet exploit, il avait trois ans, les enfants jouaient dehors, et Vince, un peu à l'écart des autres, regardait intensément vers les fourrés d'où sortit bientôt un grizzly énorme. L'enfant regarda venir à lui, sans bouger, ni manifester la moindre peur, l'impressionnant carnassier qui aurait pu le tuer d'un coup de patte, le flaira, et repartit, trottinant, dans la direction d'où il était venu ! Mais le plus fou, ce fut, quelques temps plus tard, quand les loups qui vivaient sur ce territoire envahirent la clairière, comme la nuit venait de tomber. Vince, qui mangeait à table avec tout le monde d'un appétit féroce, se leva soudain et sortit ! Monsieur Mac Villard tenta bien de le retenir, mais Vince le regarda de ses yeux étincelants et lui dit que les loups étaient ses amis et qu'il les aimait ! Et il s'avança, hardiment, vers les fauves qui le laissèrent s'approcher, sans s'enfuir ! Visiblement, un dialogue silencieux s'était établi entre eux, sûrement par le biais de la télépathie de l'enfant. Et les jours qui suivirent, les loups revinrent régulièrement, flairant doucement l'enfant, lui accordant de temps à autres un coup de langue affectueux, tandis que lui les flattait de ses petites mains déjà redoutables.

A huit ans, Vince était un pré-adolescent boutonneux, maigre à faire peur, mais costaud comme un bûcheron canadien, qui courait les bois comme un vieux trappeur, à la suite des bêtes, ses amies et, parfois, ses proies... Son père lui avait acheté une arme à feu, mais Vince préférait l'arc et les flèches, idéalement silencieux, ou la fronde, avec lesquels il faisait parfois des ravages parmi les lapins de garenne qui foisonnaient dans le coin, ou certains ramiers qui roucoulaient dans les frondaisons. Le gosse avait un instinct de chasseur et de pisteur incroyable, et ses sens affûtés provoquaient même l'admiration des quelques Amérindiens chasseurs de la réserve voisine avec lesquels les Mac Villard étaient en bons termes.

Un beau jour, Homer Greyhawk, le vieux chaman de la tribu, vint les voir.

"-Vince parle aux Esprits et ils lui répondent. Je n'ai jamais vu de Blanc comme lui à ce jour ! Je ne sais pas d'où il sort, mais il y a en lui quelque chose d'extraordinaire, et j'aimerais beaucoup lui faire connaître le monde des Esprits et nos légendes... J'ai l'impression que ça pourrait lui rendre service ! déclara-t-il, souriant.

- Mais, Monsieur Greyhawk, vous en êtes sûr ? demanda Jeffrey, sidéré.

- Il y a une grande lumière en lui. Un esprit très ancien l'anime... Il a dormi pendant des siècles et il est revenu parmi nous pour nous apprendre bien des choses ! dit le vieux sage aux cheveux de neige.

- Monsieur Greyhawk, pouvez-vous garder un secret ? demanda Jeffrey.

- Bien sûr ! Un chaman est le confesseur de tout le clan et de ses amis. Il ne trahit jamais les secrets ni sa parole. D'où diantre sort ce petit ?".

Et Jeffrey lui raconta toute l'histoire. Homer Greyhawk promit d'initier Vince à ses secrets pendant les vacances d'été, ce qu'il fit.

Lors de son voyage initiatique, Vince renoua avec ses souvenirs enfouis, et sut qui il était et d'où il venait vraiment. Il avait toujours su qu'il n'était pas comme les autres, et il en voulait quand même un peu à ces savants fous et inconscients de leur geste. Car même s'il était un homme des bois accompli, la forêt n'était pas le monde, et à savoir comment les autres gens le recevraient, lui, le spécimen ressuscité d'un passé inimaginable, et seul représentant de sa sorte sur Terre et à cette époque ?

A la rentrée, quand Wilford Priest vint le voir, il lui posa clairement la question de son devenir, et de ce qui se passerait si un beau jour, il tombait amoureux ! Il avait aimé autrefois, une femme comme lui, blonde et très claire, aux doux yeux d'or. Maïaka. Il se souvenait même de son nom ! Elle était très différente des grandes perches qu'on voyait dans les magazines ou à la télé !!! Et le jeune homme qu'il devenait se posait tout de même de sacrées questions.

Monsieur Priest était assez surpris par l'intelligence et la pertinence du jeune homme, d'une maturité incroyable pour son âge, et il regagna le siège social de son entreprise, pour discuter avec ses biologistes de ce qu'il conviendrait de faire pour Vince plus tard...

Fin de la seconde partie.

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

C'est une histoire pour notre ami Omo-Erectus! Lui aussi, survivant d'une autre ère, doit se sentir seul par moments.

Intersection de vécu et de passions, ton histoire, qui prend ici des allures de roman ou de conte ou de légende.

Le monsieur, son prénom est Judas?

Si j'en crois la longueur de ton texte, je crois que nous avons toutes deux écrit, aujourd'hui!

Tu dors sans doute, là. Ici, 23 h 08. Dors bien et ne fais pas de cauchemars.

Zed ¦)