lundi 26 janvier 2009

Sur les traces des premiers Européens

PRÉHISTOIRE

 

NOUVELOBS.COM | 20.01.2009 | 17:04

Avant sa fermeture pour rénovation, le Musée de l’Homme à Paris présente une fabuleuse exposition sur le site préhistorique d’Atapuerca, dans le nord de l’Espagne, où ont été découverts les plus anciens restes d’hommes fossiles d’Europe de l’ouest. Sciences et Avenir vous emmène sur les traces de ces premiers européens, mais aussi sur celles des premiers cannibales connus et sans doute des premiers Homo à pratiquer des rites funéraires…

Représentation d'un adolescent Homo antecessor dont le crâne a été retrouvé à Atapuerca. Voir une galerie de photos.

Représentation d'un adolescent Homo antecessor dont le crâne a été retrouvé à Atapuerca. Voir une galerie de photos. (Junta de Castilla y Leon)

Plateau de la Castilla y León. «Si le chemin de fer n’avait pas éventré la colline, à la fin du XIXe siècle, peut-être n’aurions nous jamais eu accès à de tels trésors archéologiques ! En tout cas, pas aussi facilement». Nous sommes dans une tranchée, creusée au cœur de la Sierra de Atapuerca, qui culmine à 1085 mètres à peine, à une quinzaine de kilomètres à l’est de la ville de Burgos, au nord de l’Espagne (province autonome de Castilla y León). «Cette gigantesque entaille, tracée pour relier Burgos aux mines voisines de fer a en effet mis au jour des gisements préhistoriques» raconte, feutre vissé sur la tête, le Catalan Eudald Carbonell, l’un des co-directeurs des équipes de recherche*.
«Les fouilles ont depuis montré que cette Sierra, un véritable dédale de gouffres et de galeries, avait été occupée depuis l’aube de l’humanité européenne, il y a peut-être 1,2 à 1,8 million d’années et jusqu’à une époque récente. Il y a peu, certaines grottes étaient encore utilisées par les contrebandiers». La région est en effet un corridor stratégique reliant les bassins du fleuve de l’Ebre et du Douro. Au croisement de plusieurs écosystèmes, elle est caractérisée par une combinaison de climats méditerranéen, continental et atlantique. Le silex abonde dans la montagne, le quartzite dans la rivière, le gibier dans la forêt…. En somme, un lieu de passage naturel et accueillant pour de multiples générations d’hommes.
Le plus vieil Européen de l’ouest
Les travaux archéologiques n’ont sérieusement démarré qu’à la fin des années 80. Et ces trois décennies de fouilles intenses, menées par près de 150 chercheurs du monde entier, ont hissé la Sierra de Atapuerca au rang de patrimoine de l’humanité. Drainant des milliers de visiteurs par an, ce site à ciel ouvert a été classé par l’Unesco en 2002. Pendant ce temps, les travaux continuent. Avec éclat.
La Sima del elefante (ou gouffre de l’éléphant, nommé de la sorte car il a livré des restes de mastodonte), la première cavité ouverte par les ouvriers du chemin du fer il y a plus d’un siècle, a encore fait la Une de la revue Nature à l’été 2007. On y a exhumé –parmi des restes de castors, d’hippopotames et de balbuzards pécheurs témoins de rivières disparues- une mandibule ornée de quatre dents et datée de 1,2 million d’années au moins. L’été 2008, c’est la première phalange d’un auriculaire du même âge qui est venu s’ajouter au puzzle. Ces restes appartiendraient donc au plus vieil européen de l’ouest connu. Pour le moment…
«Nous avons découvert, dans ce même gisement, des niveaux plus anciens encore, mais encore sans dates» montre Eudald Carbonell, en s’accroupissant pour désigner une couche stratigraphique dans la terre rouge et ocre et de la cavité. «Cela nous laisse espérer des trouvailles plus spectaculaires encore». Les chercheurs rêvent tout haut de trouver un jour des hommes presque aussi vieux que ceux que l’on a découvert en Europe de l’est, dans le Caucase, les Homo georgicus, datés de -1,8 million d’années.
En attendant, les restes de la Sima del elefante ont été attribués tout naturellement à l’espèce locale, Homo antecessor. «Les premiers fossiles de cette espèce, appartenant à six individus au moins et datés de -800.000 ans, ont été mis au jour dans les années 90, ici dans le gisement de Gran Dolina» raconte Jose Maria Bermudez de Castro, spécialiste de paléobiologie des homininés, tout en gravissant l’échafaudage réservé aux chercheurs. Ce gisement de la Gran dolina, situé à quelques dizaines de mètres à peine de la Sima del elefante, toujours dans la même tranchée, est également célèbre dans le monde entier. Car à l’époque de sa découverte, Homo antecessor et son joli petit crâne ont fait polémique et sensation.
Tout d’abord, pour les Espagnols, le bonhomme, curieuse mosaïque de caractères archaïques et pré-modernes, méritait une place de choix dans notre arbre généalogique : il aurait été à la fois l’ancêtre de l’homme moderne et l’ancêtre des hommes de Néandertal. Une position âprement discutée, désormais abandonnée. «Au vu des découvertes des derniers spécimens, nous pensons plutôt qu’il s’agit d’une branche qui s’est éteinte sans descendance» reconnaît aujourd’hui Jose Maria Bermudez de Castro. «En revanche, il pourrait avoir un lien de parenté avec les premiers européens de l’est, les Homo georgicus». Homo antecessor est-il venu dans la péninsule ibérique par l’est, plutôt que par le détroit de Gibraltar ? Seule certitude, il provient d’un groupe d’hominidés qui a du quitter l’Afrique il a près de 2 millions d’années!
Un cannibalisme culturel?
Autre particularité, ces hommes –dont on a retrouvé plus de onze individus à ce jour- ne dédaignaient pas la consommation de chair humaine crue. C’est à la Gran Dolina, en effet que l’on a retrouvé, associés à des silex et des quartzites d’une facture assez grossière, mais parfaitement tranchants, des restes d’Homo proprement découpés, la moelle expurgée. Les os portent des traces claires de décarnisation et de découpe. La peau et la chair ont été prélevées par lanières. Bref, ces Homo ont été dépecés, décharnés, démembrés, de la même manière que les bisons et autres gros herbivores dont on a retrouvé les restes en abondance dans le gisement. « Il s’agit du plus ancien témoignage de cannibalisme humain au monde.» note Jose Maria Bermudez de Castro. Beaucoup de victimes sont des adolescents et des enfants». Selon lui, ce comportement pourrait être culturel et aurait visé à réguler la pression démographique et la compétition. Pour ce faire, les Homo antecessor auraient boulotté les jeunes, plus vulnérables, des clans voisins…

Rites funéraires et entraide

Mais les hommes n’ont pas toujours été traités de cette façon dans la Sierra. Car le site est également connu pour receler un puits aux morts, la Sima de los Huesos. Il y a 400.000 à 500.000 ans, les hommes qui peuplaient la région semblent avoir jeté intentionnellement leurs morts dans cette cavité. Est-ce pour qu’ils ne soient pas dévorés par les bêtes sauvages, lions, loups qui hantaient la colline? L’un après l’autre, des hommes, des femmes, des enfants ont été jetés dans cet aven de 13 mètres de profondeur, formant l’un des plus grands dépôts paléontologiques au monde.
«Le plus émouvant est que l’on a retrouvé aux côtés ces restes, un magnifique biface rouge» raconte Eudald Carbonell. Il s’agit du seul outil taillé –n’ayant jamais servi- trouvé dans le puits, et les chercheurs pensent qu’il a été également jeté sciemment avec les morts. Est-ce la preuve d’un début de pensée symbolique ? Les corps appartiennent à l’espèce Homo heidelbergensis, réputée être l’ancêtre de l’espèce Homo neandertalensis. Une espèce capable, en tous cas, de solidarité :les chercheurs ont en effet retrouvé un crâne, le plus complet au monde pour cette espèce, qui montre que son propriétaire a survécu des années malgré une terrible infection dentaire. Preuve que d’autres lui mâchaient la viande crue, principale source de nourriture de ces chasseurs solidement charpentés et dont les hommes pouvaient atteindre 1,90 m.
Un bouchon de sédiment occulte aujourd’hui l’aven préhistorique de la Sima de los huesos. «Les paléontologues ne l’ont découvert qu’en se transformant en spéléologues et en rampant 500m dans un tunnel» raconte Eudald Carbonnell, en ouvrant la grille de fer forgé qui donne accès à la grotte Cueva de mayor, sorte de portail d’accès à ce monde souterrain. «Cette sierra est une vraie fourmilière, conclut-il. Au bout de ce boyau, là, il y a un cimetière néolithique, que nous n’avons même pas le temps d’étudier. De l’autre côté de cette paroi, il y a une salle couverte de peintures rupestres". Et de se réjouir : «Nous avons des siècles de fouilles devant nous !».
Du site d'Atapuerca Rachel Mulot
Sciences-et-Avenir.com

Texte édité le 20/01/09 par Cécile Dumas
* CENIEH (Centro nacional de investigation sobre la evolucion humana)
EXPOSITION : «Atapuerca, sur les traces des premiers européens», exposition organisée et financée par le gouvernement régional de Castilla y León. Du 16 janvier au 16 mars, au Musée de l’Homme, 17 place du Trocadéro, 75016. Programme du cycle de conférence sur www.mnhn.fr. Lire également Sciences et Avenir daté de février 2009, n°744.
A Burgos, un musée géant pour l’évolution humaine
Le plus grand centre culturel européen jamais dédié à l’évolution de l’homme ouvrira ses portes à Burgos, dans la province de Castilla y Léon, en 2010. Bloc de verre et de lumière, le futur Musée de l’évolution humaine se dressera face à la cathédrale de Burgos. Tout un symbole. Le bâtiment, dont le coût total avoisine les 200 millions d’euros, accueillera dès 2009 le Centre National de Recherche sur l’Évolution Humaine (CENIEH), soit plus d’une quarantaine de chercheurs et une trentaine de techniciens, ainsi qu’un palais des congrès. Le musée sera alimenté par les fouilles du site proche d’Atapuerca.
Une maquette et présentation de cet ambitieux projet sont actuellement visibles dans le cadre de l’exposition d’Atapuerca, la dernière pour le Musée de l’Homme avant une fermeture pour rénovation qui doit durer trois ans. «C’est pour nous un très joli clin d’œil et un défi stimulant» confie Jean-Pierre Mohen, directeur de la rénovation du musée. Il ne reste qu’à espérer que le musée parisien, une fois rénové, sera à la hauteur de ce prestigieux partenaire, avec lequel il poursuit une collaboration scientifique fructueuse.
R.M.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Si j'ai bien compris, pour être à la hauteur, ce musée devrait se situer assez profondémanert dans le sol...

Tandis que l'on vient de découvrir trois planètes extra-solaires, que les recherches en microbiologie et en nanotechnologie se poursuivent, on met au jour des trésors à notre mesure physique et dans une démesure temporelle presqu'aussi grande que celle, spatio-temporelle des étoiles et des planètes.

Décidément, j'adore les sciences.

En plus d'éliminer l'ennemi, le cannibalisme est une manière de s'appropier (ses) les qualités de l'autre, aussi. Ne dit-on pas encore aux petits bébés et aux êtres chgers, « Je te mangerais... »
La médecine traditionnelle chinoise comprend aussi beaucoup de cette idéologie, mettant en danger certaines espèces au nom de superstitions. Sûrement pas la seule.

You are what you eat... ne dit-on pas encore.

(Pauvres créationnistes... De quoi en perdre leur lapin, ces histoires, hein Tinky!)

Tinkyfurax a dit…

Et pour finir d'enfoncer le clou, la religion chrétienne est quand même basée sur un acte d'anthropophagie symbolique, mais anthropophagie tout de même, illustrée par la Cène et l'eucharistie... Je vais finir excommuniée, mais y'a tout de même quelques vérités qu'il faut reconnaître... Ce pauvre Jésus qui assimile son futur geste fou au fait de manger du pain et du vin car ceux-ci du coup deviennent son sang et sa chair servant à purifier l'humanité de ses péchés... Moi, ça m'a toujorus quand même titillé désagréablement, cette histoire-là !
Tinky, philosophe avant d'aller travailler.

Anonyme a dit…

certes ils mangeaint des enfants mais dans la marine on tire à la courte paille pour savoir qui qui sera mangé ! alors !

Anonyme a dit…

Tinky,

Tu l'es déjà... Remarque très pertinente. Beurk...

Ulysse,

En autant que ce n'est pas le chat...


Quand on regarde les débats du Parlement,on se dit que les pratiques volent assez bas pour les restes sous la table.

Et d'ailleurs, certains politiciens feraient un bon repas, s'ils n'étaient pas aussi indigestes.

Humour de fin de journée, prépelletage. Soyez indulgents messiers dames..... Me bouffez pas tout de suite!


Zed ¦)

Bonhomme a dit…

Excellent article, merci beaucoup de le partager Tinky! J'apprends toujours de belles choses sur la préhistoire en venant ici. J'ai d'ailleurs acheté le numéro de National Géographie que tu nous avais traduis pour les photos et mes archives!

J'aimerais bien aller cette exposition, mais enfin, le métro de Montréal ne se rend pas!

Bises du Québec!