mardi 14 octobre 2008

Suite de la traduction de l'article du National Géographic d'octobre 2008, édition anglaise.

FOSSILE PRECIEUX.
Commentaire de la photo occupant ¾ de page d’une archéologue en combinaison stérile dans la grotte d’el Sidrón :
Vêtue pour éviter de contaminer sa trouvaille, la chercheuse Araceli Soto Flórez ensache l’os d’un Néanderthalien de la grotte d’El Sidrón en Espagne. Les fossiles découverts ici montrent d’infimes traces d’A.D.N. ancien. L’analyse génétique prouva l’existence de cheveux roux et peut-être une capacité au langage.

Reprise de l’article :        
Une des plus longues et des plus brûlantes controverses de l’évolution humaine fait rage autour des relations entre les Néanderthaliens et leurs successeurs européens. Est-ce que les humains modernes, sortis d’Afrique 60 000 ans plus tôt ont complètement remplacé les Néanderthaliens, ou se sont-ils mélangés avec eux ? En 1997, une hypothèse d’avant-garde souffla une puissante tempête. Le généticien Svante Pääbo – alors à l’université de Munich – utilisa un os du bras de l’homme de Néanderthal original pour l’émettre. Pääbo et ses collègues ont été capables d’extraire un minuscule échantillon de 378 bases d’A.D.N. mitochondrial, (une sorte de court appendice génétique au texte principal de chaque cellule) du spécimen de 40 000 ans d’âge. Quand ils déchiffrèrent les lettres du code, ils découvrirent que l’A.D.N. du spécimen différait de celui des humains vivants à un degré suggérant que les lignées néanderthaliennes et humaines modernes avaient commencé à diverger longtemps avant la migration des humains modernes hors d’Afrique. Ainsi, les deux branches représentatives, séparées géographiquement et évolutivement, jaillissaient d’un ancêtre commun. «- Au nord de la Méditerranée, la lignée devint néanderthalienne, dit Chris Stringer, directeur de recherches sur les origines humaines au Muséum d’Histoire Naturelle de Londres, et au sud de la Méditerranée, elle est devenue nous. ». S’il y a eu quelques accouplements quand ils se sont rencontrés les uns les autres plus tard, il est très rare de trouver des traces d’A.D.N. mitochondrial dans les cellules des gens vivant actuellement.
La bombe génétique de Pääbo semblait confirmer que les Néanderthaliens étaient une espèce distincte – mais ne fit rien pour expliquer le mystère de la raison de leur disparition, et la raison pour laquelle notre espèce survécut.
Une des possibilités la plus évidente est que les hommes modernes étaient simplement plus intelligents, plus sophistiqués, plus « humains ». Jusqu’à récemment, les archéologues dénonçaient une grande lacune autour de 40 000 ans en Europe, quand l’industrie relativement rudimentaire et invariable des outils de pierre des Néanderthaliens – nommée Moustérien, d’après le site du Moustier, dans le Sud-Ouest de la France – fut remplacée par les équipements d’os et de pierre bien plus variés, les ornements corporels et autres signes de pensée symbolique, expressions associées à l’apparition des humains modernes.

Rappel d’un extrait de l’article : Étaient-ils une branche de survivants intelligents et persévérants, comme nous, ou une voie sans issue vaincue intellectuellement ?

Reprise de l’article :
Quelques scientifiques, comme l’anthropologue Richard Klein, de l’Université de Stanford, continuent à penser à quelque changement génétique soudain dans le cerveau – probablement associé au développement du langage – qui aurait propulsé les premiers humains modernes vers une domination culturelle aux dépens de leurs sourcilleux concurrents.
Mais les preuves sur le terrain ne sont ni si tranchées, ni si nettes. En 1979, les archéologues découvrirent un squelette de Néanderthalienne tardive à St-Césaire, dans le Sud-Ouest de la France, enterrée non avec des vestiges du Moustérien typique, mais avec un surprenant répertoire d’outils modernes. En 1996, Jean-Jacques Hublin, du Max Planck Institute de Leipzig et Fred Spoor, de l’University Collège de Londres, ont identifié un os de Néanderthalien dans une autre grotte française, près d’Arcy sur Cure, dans une couche de sédiments contenant aussi des objets ornementaux précédemment seulement associés aux humains modernes, tels des dents d’animaux perforées ou des anneaux d’ivoire  Quelques scientifiques, comme le paléoanthropologiste britannique Paul Mellars, réfutent cette « accessoirisation » moderne d’un style de vie fondamentalement archaïque comme une « improbable coïncidence » – un dernier soupir de comportement imitatif des Néanderthaliens face aux nouveaux venus inventifs venus d’Afrique qui les remplaçaient. Mais plus récemment, Francesco d’Errico de l’université de Bordeaux et Marie Soressi, du Max Planck Institute de Leipzig, ont analysé des centaines de morceaux en forme de crayon de dioxyde de manganèse d’une grotte française nommée Pech de L’Azé, où les Néanderthaliens vivaient bien avant que les humains modernes n’arrivent en Europe. D’Errico et Soressi stipulent que les Néanderthaliens utilisaient le pigment noir pour des décorations corporelles, démontrant ainsi qu’ils étaient complètement capables de parvenir d’eux mêmes à une « modernité comportementale ».


«- À l’époque de la transition biologique, dit Erik Trinkaus, un paléoanthropologiste de l’Université Washington à St Louis, le comportement basique (des deux groupes humains) est quasiment le même, et les différences sont extrêmement subtiles. ». Trinkaus croit qu’ils se sont rencontrés occasionnellement, malgré tout. Il trouve un métissage évident entre Néanderthal et humains modernes dans certains fossiles, comme celui de ce squelette d’enfant âgé de 24 500 ans découvert sur le site portugais de Lagar Velho, et un crâne vieux de 32 000 ans venant d’une grotte nommée Muierii en Roumanie. «- Il y avait très peu de gens dans le paysage, et vous aviez besoin d’une rencontre et de vous reproduire, dit Trinkaus. Pourquoi pas ? Les humains ne sont pas connus pour être regardants. Le sexe, ça arrive. ».
Ça a pu arriver, disent d’autres chercheurs. mais pas souvent, et pas d’une façon qui laisserait traîner quelque preuve. Katerina Harvati, une autre chercheuse du Max Planck institute de Leipzig, a utilisé des mesures en 3-D détaillées de Néanderthaliens et d’humains modernes fossiles pour prévoir exactement à quoi les hybrides des deux auraient pu ressembler. Aucun des fossiles examinés n’atteignit ses prédictions, même de loin.
Le désaccord entre Trinkaus et Harvati est vraiment le premier entre deux paléoanthropologistes respectables qui ont étudié le même assortiment d’os et en ont retiré mutuellement des interprétations contradictoires. Pour apaiser – et débattre – le moyen de l’anatomie fossile jouera toujours un rôle pour comprendre les Néanderthaliens. Mais maintenant, il y a d’autres manières de les ramener à la vie.

Essence génétique.
Deux images en haut de la page avec ce commentaire :
En prenant l’A.D.N. d’un fragment d’os de jambe de 38 000 ans, les savants sont en train de retrouver le code génétique complet de Néanderthal. Les résultats de l’échantillon (en haut, sur la glace) suggèrent que les Néanderthaliens et les humains modernes sont des espèces séparées, mais n'excluent pas certains croisements.

Reprise de l’article :
Deux jours après ma descente dans la grotte d’El Sidrón, Araceli Soto Flórez, une étudiante diplômée de l’Université d’Oviedo, trouva un nouvel ossement de Néanderthalien, probablement un fragment de fémur. Toutes les fouilles cessèrent immédiatement, et la plus grande partie de l’équipe évacua la chambre souterraine. Ensuite, Soto Flórez se glissa dans une combinaison stérile, des gants, des boots et derrière un masque facial en plastique. Sous les yeux attentifs d’Antonio Rosas et du biologiste moléculaire Carles Lalueza-Fox, elle a extrait l’os délicatement du sol, l’a placé dans un sac stérile en plastique et a déposé le sac sur une couche de glace. Après une brève halte dans le congélateur d’un hôtel de Villamayo tout proche, l’os de jambe arriva finalement au laboratoire de Lalueza-Fox, à l’Institut de Biologie Évolutive de Barcelone. Son intérêt n’était pas dans l’anatomie de la jambe ou quoi que ce soit d’autre qui aurait pu révéler la locomotion des Néanderthaliens. Tout ce qu’il voulait était l’A.D.N. de cet os.


Le cannibalisme préhistorique est une très bonne chose pour notre moderne biologie moléculaire. Gratter la viande d’un os enlève aussi l’A.D.N. des microorganismes qui pourraient éventuellement contaminer l’échantillon. Les os d’El Sidrón n’ont pas révélé le moindre A.D.N. d’un seul Néanderthalien,– cet honneur revient à un spécimen de Croatie, cannibalisé, lui aussi – mais jusqu’à présent ils ont apporté un éclairage sur l’apparence et le comportement des Néanderthaliens.

article-1058538-02B9840000000578-936_468x302

Côte à côte avec Néanderthal.
Gros encart de photos, avec ce commentaire en exergue :
Quand nos ancêtres arrivèrent d’Afrique en Eurasie il y a environ 45 000 ans, ils trouvèrent le terrain déjà occupé. Les Néanderthaliens et les humains modernes avaient 99,5% de gênes en commun mais ils avaient évolué d’une manière anatomiquement distincte pendant des centaines de milliers d’années dans le froid climat eurasien.

En dessous, les photos des profils d’une femme moderne et de Wilma, à titre d’anatomie comparée, et des commentaires décrivant les différences.
Dans les deux volets du dépliant qui suivent, ce sont les différences squelettiques et génétiques qui sont mises en exergue, et l’époque où la séparation des deux humains se situe selon les dernières trouvailles : 370 000 ans.
le dépliant refermé, on voit les photos des crânes d’un Néanderthalien et d’un moderne, avec là aussi les différences anatomiques expliquées.

La double page suivante montre une dame moderne à côté de la reconstruction de Wilma, « vêtue » d’une fourrure hirsute, ce qui achève de l’enlaidir, là aussi, à titre d’anatomie comparée, avec ce commentaire :
Marina Allende, d’une ferme près d’El Sidrón où sont passés un jour des Néanderthaliens montre l’apparence et la taille d’une femme européenne moderne, par rapport au physique néanderthalien plus petit et épais.
La robe de fourrure de la Néanderthalienne est quasiment brute, faute de preuve d’existence d’instruments de couture.

Reprise de l’article :
En octobre 2007, Lalueza-Fox, Holger Römpler de l’Université de Leipzig et leurs collègues annoncèrent qu’ils avaient isolé un gène de pigmentation de l’A.D.N. d’un individu d’El Sidrón (tout comme pour un autre fossile néanderthalien d’Italie). Cette forme de gène particulière appelée MCIR, indiquait que, finalement, certains Néanderthaliens auraient eu les cheveux roux, la peau pâle, et, probablement, des taches de rousseur. Le gène, qui ne ressemble pas à celui des rouquins actuels, toutefois – suggère que les Néanderthaliens et les humains modernes ont développé ce trait indépendamment, probablement sous des pressions similaires dans les latitudes nordiques pour que leur peau laisse pénétrer plus de lumière solaire afin d’aider à la fabrication de la vitamine D. Quelques semaines auparavant, Svante Pääbo, qui dirige à présent le laboratoire de génétique du Max Planck Institute de Leipzig, Lalueza-Fox et leurs collègues ont annoncé une découverte encore plus stupéfiante :

Rappel d’un extrait de l’article : Derrière ses arcades sourcilières  proéminentes, le crâne d’un Néanderthalien hébergeait un cerveau quasiment plus grand en moyenne que le nôtre aujourd’hui.

Reprise de l’article :
Deux individus d’El Sidrón semblaient partager, avec les humains modernes, une version du gène appelée FOXP2 qui contribue à la parole et aux capacités du langage, influant non seulement dans le cerveau mais aussi sur les nerfs qui contrôlent les muscles faciaux. Savoir si les Néanderthaliens étaient dotés de capacités linguistiques sophistiquées ou d’une forme vocale de communication plus primitive (chanter, par exemple) demeure obscur, mais les nouvelles trouvailles génétiques suggèrent qu’ils possédaient la plupart des mêmes dispositifs vocalisateurs que les humains modernes.
Tout cela trouvé à partir d’un groupe de Néanderthaliens malchanceux enterrés dans un effondrement de grotte, peu après avoir été consommés par leurs semblables.


«- En fait, peut-être est-ce une bonne chose de manger vos congénères. », dit Pääbo.
Grand et chaleureux Suédois, Pääbo est le principal acteur d’un tour de force scientifique à couper le souffle : arriver complètement dans les prochains mois, non à lire ou non seulement quelques gènes néanderthaliens isolés, mais entièrement déchiffrer les trois milliards de séquences de lettres du génome de Néanderthal. Les traces d’A.D.N. des fossiles sont des marques évanescentes, et parce que l’A.D.N. de Néanderthal est malgré tout très proche de celui des hommes actuels, une des plus grandes craintes lors du séquençage est la contamination par de l’A.D.N. humain moderne – tout particulièrement par les scientifiques manipulant les spécimens. Les précautions prises lors de l’extraction à El Sidrón sont devenues à présent des pratiques standardisées sur d’autres sites néanderthaliens. La plupart de l’A.D.N. du projet de Pääbo pour le génome néanderthalien provenait, toutefois, d’un spécimen croate de 38 000 ans d’âge, trouvé trente ans plus tôt dans la grotte de Vindija. Considéré au départ comme sans importance, il était resté dans un tiroir de Zagreb, peu manipulé et du coup, non contaminé, durant tout son séjour au Muséum.
Maintenant, il est l’équivalent d’une mine d’or pour l’A.D.N. humain préhistorique, quoique c’est une mine très difficile à creuser. Après que l’A.D.N. ait été extrait dans un laboratoire stérile dans les fondations du Max Planck Institute, il a été convoyé dans la nuit à Branford, dans le Connecticut où des collaborateurs aux Sciences de la Vie 454 ont inventé des machines qui peuvent rapidement déchiffrer les séquences des lettres chimiques de l’A.D.N. La grande majorité de ces lettres montrent des contaminations bactériennes ou d’autres informations génétiques non néanderthaliennes. Mais en fin 2006, Pääbo et ses collègues annoncèrent qu’ils avaient déchiffré approximativement un million des lettres (nous on dit des bases, en français) de l’A.D.N. de Néanderthal. (Au même moment, un second groupe, dirigé par Edward Rubin, du Département de l’Energie joint à l’Institut du Génome de Walnut Creek en Californie utilisa de l’A.D.N. fourni par Pääbo pour lire des échantillons de code génétique en utilisant une autre approche). Durant l’année dernière, miné par les affirmations que leurs travaux avaient rencontrés de sérieux problèmes de contamination, le groupe de Leipzig annonça qu’il avait testé leur précision et identifié près de 70 millions de lettres d’A.D.N., près de 2% du total.
«- Nous savons que les séquences (génétiques) des humains et des chimpanzés sont à 98,7% les mêmes, et les Néanderthaliens étaient bien plus proches de nous que les chimpanzés, dit Ed Green, responsables des biomathématiques dans le groupe de Pääbo à Leipzig, mais en réalité, c’est que pour la majorité de la séquence, il n’y a pas de différence entre Néanderthal et les humains modernes. ». Mais les différences – moins d’un pour cent de la séquence – sont suffisantes pour confirmer que les deux lignées ont commencé à diverger vers 700 000 ans plus tôt. Le groupe de Leipzig a aussi tenté d extraire de l’A.D.N. mitochondrial de deux fossiles d’origine incertaine qui ont été exhumés en Ouzbékistan et dans le sud de la Sibérie : les deux avaient uniquement la signature génétique néanderthalienne. Alors que le spécimen d’Ouzbékistan, un jeune garçon, a depuis longtemps été considéré comme un Néanderthalien, le spécimen sibérien a été une énorme surprise, éloignant l’extension connue de Néanderthal de quelques 2 500 kilomètres à l’est de leur bastion européen.
Donc, en attendant que de nouvelles preuves génétiques confirment que les Néanderthaliens étaient une espèce distincte de la nôtre, tout cela suggère qu’ils auraient pu posséder le langage humain et avaient bien prospéré à travers une très grande portion d’Eurasie, bien plus que ce que l’on pensait précédemment. Ceci nous ramène à la même obsédante et persistante question qui les recouvre depuis le début : pourquoi ont ils disparu ?

©M. Stephen S. Hall (article),M. David Liittschwager et M. Mc Nally (photos).

© NGS. october 2008.

Encore merci à Mimi pour son aide.

1 commentaire:

Bab a dit…

Article très intéressant. merci.
J'avoue, pour ma part, tomber dans la bêtise commune qui consiste à considérer les néanderthaliens comme "moins humains" que nous, alors que l'état actuel des connaissances ne le prouve aboslument pas.
Je me suis même servie d'eux poru me moquer de mes voisins. C'est pas beau ! :) En tout cas, j'ai apprécié cet article.