L'Entrevue - Sans viande, pas d'humanité
Fabien Deglise
Édition du lundi 13 juillet 2009Mots clés : Viande, Végétariens, Humanité, France (pays)
Coup dur pour les ayatollahs du tout végétal. En courant après des régimes alimentaires de plus en plus végétariens ou encore en sacralisant à outrance les animaux, au point de leur accorder plus de considération qu'à ses voisins d'en face, l'être humain serait sérieusement en train de faire fausse route. Une route «dangereuse» d'ailleurs, qui l'amènerait à rompre avec la dimension fondamentale de sa personne: son humanité, estime la préhistorienne française Marylène Patou-Mathis dans une étonnante brique qui retrace l'apport incontestable de la viande à... la grande aventure humaine.
Avec Mangeurs de viande. De la préhistoire à nos jours (Perrin), la spécialiste du Néanderthal, qui promène sa passion pour le Paléolithique moyen entre son bureau du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et celui du Muséum national d'histoire naturelle de Paris, n'y va pas par quatre chemins. «La consommation de viande a été le catalyseur de la séparation entre les grands singes, principalement végétariens frugivores, et les Australopithèques, les premiers hominidés, lance-t-elle à l'autre bout du fil. C'est donc par la viande que nous devenons des humains, puis des hommes sociétaux. Et il ne faut pas chercher à l'oublier.»
Dans la dernière décennie, les avancées technologiques, mises au service de la recherche préhistorique, ont d'ailleurs contribué à éviter l'amnésie. «Nous savions que les premiers hominidés consommaient des produits carnés, d'abord par l'entremise des insectes, puis par les petits animaux», poursuit Mme Patou-Mathis. Or pour la première fois, grâce aux analyses biogéochimiques d'os fossiles de Néanderthaliens et d'Hommes modernes, les spécialistes de la préhistoire, en sondant désormais certains isotopes dans l'ADN de ces restes humains, sont en mesure de quantifier cet apport. «Et les courbes de consommation de viande que nous obtenons sont énormes. On s'est rendu compte qu'elles étaient même identiques à celles du loup.»
Beau temps, mauvais temps, en période glaciaire -- où les végétaux se font plus rares -- et dans des moments plus tempérés, depuis près de trois millions d'années, l'homme -- et la femme par la même occasion -- mangent donc de la viande. Ce type de nourriture trouve d'ailleurs sa place dans un régime varié propre aux omnivores, régime qui avec le temps, forcément, s'est inscrit durablement dans le code génétique de l'Homo habilis, de l'Homo erectus et de leurs trillions de descendants.
Et pour cause. «La consommation de viande, avec son apport élevé de protéines, fournissant l'énergie indispensable au bon développement et au bon fonctionnement du cerveau, a favorisé l'innovation technologique et modifié les comportements», résume la préhistorienne, qui étudie le rapport entre hommes et animaux en ces temps que les moins de 250 000 ans ne peuvent pas... «La viande devient aussi une force de cohésion grâce à laquelle se soudent les communautés et se construisent les alliances.»
C'est un trait de caractère. Alors que l'herbivore conjugue son existence au temps de l'individualisme, le carnivore, lui, en quête quotidienne de chair à se mettre sous la dent, devient très vite social. Autour de la chasse, forcément, et des activités connexes. «C'est un moteur important à la construction de l'homme sociétal, dit-elle. La viande fait apparaître des structures: la coopération [pour trouver et abattre l'animal], le partage, la division du travail... En somme, elle outrepasse, plus que tout autre aliment, la fonction nutritionnelle.»
Retrouver l'animal en nous
Manifestation de l'inconscient collectif qui a façonné l'esprit humain dans l'espace et le temps, la consommation de viande et son préalable, la chasse, s'accompagnent donc d'un corollaire simple: sans elle, pas d'humanité. Et notre ère moderne semble un peu mal à l'aise avec cette réalité, déplore Mme Patou-Mathis.
«La course au progrès nous amène à rejeter de plus en plus notre nature animale et à rompre avec notre part de virilité, dit-elle. Nous voulons tellement nous affirmer comme des êtres de culture dont le bien-être, détaché de nos racines, ne peut être que technologique et matériel, que tout ça finit par aller contre nature.»
Traduction, selon elle, d'une «crise existentielle», d'un «mal-être» dans une époque en «phase de transition», ce refus de l'animalité -- et des morceaux de muscle grillés, braisés, bouillis, marinés qui viennent avec -- trouve son expression dans les appels au végétarisme portés par des groupes plus ou moins radicaux. Le courant animaliste, en ascension depuis quelques années autour des phoques, des oies gavées, des poulets industriels et autres bêtes d'élevages dont la souffrance est régulièrement dénoncée, vient également apporter de l'eau au moulin du malaise collectif.
«Nous sommes devant un grand paradoxe, lance la préhistorienne. Ces gens-là, en cherchant au nom d'un certain respect, à sacraliser la nature, finissent par nuire à cette même nature qu'ils ne reconnaissent plus comme telle. En fait, ils veulent faire de la nature un monde culturel. C'est dangereux. Ça va finir par nous rendre complètement schizophrènes et nous conduire à poser des gestes pathologiques.»
Alors que l'humanité, confrontée à des «moments difficiles» -- les dérèglements climatiques, la chute de la biodiversité, par exemple -- se cherche, c'est pourtant davantage d'équilibre dont l'humain semble aujourd'hui avoir besoin pour affronter la situation, plaide la scientifique. «Il faut raison garder, dit-elle, et il faut aussi renouer avec notre dimension naturelle, ancestrale, en mangeant de la viande.» De la viande, certes, mais dans des proportions adaptées à nos modes de vie urbains, souligne-t-elle, et que nos ancêtres néanderthaliens auraient certainement trouvées faméliques. «Pour qu'il y ait une cohérence, cette viande doit aussi trouver sa place dans la variété d'un régime omnivore, avec des fruits et des légumes. C'est une question d'équilibre. La démesure, dans un sens comme dans l'autre, n'est jamais bonne.»
Autre prescription pour aider l'homme moderne à se trouver, puisqu'«il ne sait plus où il habite», dit la préhistorienne: «Il faut désacraliser les animaux, accepter une bonne fois pour toutes leur différence et surtout le fait qu'ils ne sont pas humains», dit Mme Patou-Mathis.
«L'animal est un animal. Le reste est anthropomorphisme. Quand on cherche à leur donner plus de droits qu'aux hommes, on se perd»... et on confirme au passage ce que la préhistorienne vient de disséquer sur plus de 400 pages: pas de doute, depuis la nuit des temps, les «frères inférieurs», dixit l'historien Jules Michelet, les «frères d'en bas», pour Georges Clemenceau, ou les «enfants muets de la terre», comme disent les Orientaux, nous amènent sans relâche à mettre en question notre humanité.Repris de l'article de "Le Devoir.com", un journal québécois.
© Le Devoir.com & Fabien Deglise.
Je parie n'importe quoi que les végétariens vouent aux gémonies cette pauvre dame !!! Et pourtant, elle a raison : sans viande, nous serions encore des cornichons accrochés aux dernières branches de l'arbre !!!!
Mots clés Technorati : préhistoire,Néanderthal,Néandertal,Marylène Patou-Mathis,viande,actualités,sciences.
5 commentaires:
Excellent article ! Je veux ce bouquin ! Evidemment, il était particulièrement difficile de faire pousser des batavias dans le permafrost alors forcément, il fallait bien manger quelque chose. Sans compter que nos ancêtres utilisaient à coup sûr bien d'autres composantes de leurs proies : cornes, sabots, nerfs, tendons, os, vessie... sans oublier le cuir et la fourrure.
Je crois que je pourrais parler des heures avec Mme Patou-Mathis (qui a une bien bonne tête, ma foi !). Quel dommage que je sois passée par le Muséum d'Histoire Naturelle sans avoir eu l'occasion de la rencontrer ! Mais je crois que si elle tombait sur nos blogs, entre ta passion pour les Néanderthaliens, mes délires sur les hyènes et nos histoires de carpaccio, elle serait certainement très amusée !
Alors, Mme Patou-Mathis, à quand un steak tartare en notre compagnie ???
En attendant, vive les carpaccio, les marinades, les barbecues, les côtes à l'os, les merguez, les travers de porc, les côtelettes d'agneau et le film "Steak" ! (Euh, pardon ! Pas pu me retenir !)
Et puis d'abord, comme je le dis toujours, je deviendrai végétarienne quand mes chats et ma chienne le seront ! Cela ne veut pas dire que je n'aime pas les animaux, au contraire (voir mon propre blog !). Quant aux végétariens, sauf le respect que je dois à leur choix de vie, je trouve qu'ils se compliquent bien l'existence. Une de mes anciennes collègues que j'appréciais beaucoup était végétarienne et se privait de bien des de choses, y compris d'une vie sociale car elle ne voulait pas être invitée chez des gens, refuser un plat et s'en justifier. En ce sens, Marylène Patou-Mathis a raison : être omnivore crée du lien. Sans compter que c'est meilleur pour la santé si l'on sait, bien sûr, manger de tout en proportions raisonnables ! Mais par exemple, le chanteur Moby,que j'aime bien, d'ailleurs, est végétalien et il se plaint de perdre prématurément ses cheveux et ses dents. Il met en cause une supposée consanguinité dans sa famille mais je ne suis pas certaine que "sucer des graines" (je vais devoir des droits d'auteur à mon frère Alain pour ça !) soit le régime le plus adapté qui soit.
Sur ce, je vais lâcher le clavier et interrompre là ce commentaire qui commence à ressembler à un article !
Biz !
Chère Madame Patou-Mathis, je serais ravie que vous répondiez à l'invitation de ma chère Mireille, et je me joindrais à vous deux pour me régaler de délices carnassières moi aussi qui n'aime le steak que bleu ou cru, les poissons en sashimis, et qui adore les côtes et côtelettes, voire manger la viande encore accroché au manche du gigot et même casser ce dernier afin d'en extirper la moelle, un vrai délice, pas vraiment agréé chez Mme de Rothschild ou Sa Majesté la Reine d'Angleterre ! Foin de ces gens ne sachant plus vivre, vive la viande, vive le gibier et vive le bien manger, non mais des fois !!!
Tinky qui aime tout, mais surtout la viande...
Le lobby des éleveurs de bétail et des producteurs de lait est très fort au Québec et influence même le guide alimentaire. (Le Devoir est un journal montréalais.)
L'agriculture était souvent dirigée par les femmes, dans nos sociétés autochtones et autrefois, en général.
La solidarité, dans un groupe d'hommes chasseurs au comptoir du supermarché? Hummm... Il me semble les entendre grogner, avec la lance en l'air! Très rigolo, surtout que la société patriarcale confie cette tâche aux femmes le plus souvent. À se rouler par terre, vraiment.
Je suis toujours fière de faire partie des deux-tiers de l'humanité, privés d'intelligence. :D :D :D
Ah... chère Tinky, comme je trouve pathétique cette manière de se prétendre « scientifique » en confondant le passé et le présent, dce qui demande de tourner les coins si rond qu'on est dans un cercle, finalement. Peut-être le cercle des mangeurs de viande, tiens!
De la même manière, on prouvera noir sur blanc que pour l'éducation des enfants, afin qu'ils ne deviennent pas de notoires criminels plus tard, il faut que la femme retourne à la maison. Le groupe solidaire des hommes y trouvera aussi son compte puisqu'il pourra à nouveau s'absenter et se retrouver autour d'un verre et des autres dames libres (de vêtements aussi!!!) tandis que madame torchera la maison et les mioches.
Vivement l'avancée vers l'arrière... Les ayatollahs ...de la viande?
Tinky, cela fait bien deux jours que je cherche comment ramasser en peu de mots ce que je pense. C'était mon petit effort pour faire court.
Si tu es bien moralement, éthiquement et physiquement en mangeant peu importe ce que tu manges, vas-y! Tu sais, devenir végétarien est un long processus pour la plupart des gens qui vivent bombardés dans les cultures qui en font le summum de l'assiette bien garnie. Le gout de la viande (y compris humaine) est encore quelque part dans nos gènes, sûrement. Mais je ne suis pas une scientifique : peut-être bien que je me trompe et que ce n'est plus là pour la grande majorité de la planète qui est solidaire dans le végétarisme, la culture du riz, en groupe, des légumes, en groupe, aller chercher de l'eau, en groupe, etc.
Là, je m'en vais courir les hyènes, ces recycleurs et éboueurs écologiques naturels et exotiques, je crois.
Bises, Zed ¦)
Chère Zed, contrairement à ce que l'on pense, en France, les lobbys d'éleveurs et autres, sont de plus en plus évincés par des gens qui préfèrent élever leurs bêtes le plus naturellement possible, et les bouchers des petites villes vont souvent se fournir chez les paysans locaux.
Moi, j'ai grandi dans un endroit comme ça. On pouvait savoir de chez qui venait la bête qu'on consommait, et souvent, elle avait été élevée avec soin et même amour, eh oui.
Mimi a grandi à la campagne, et ça a été pareil pour elle... Donc, nous avons elle et moi toujours mangé des chosees carnées, certes, mais saines, pas trafiquées.
Pour ce qui est de l'homme chasseur et de la femme cueilleuse, c'est un mythe d'homme moderne. La répartition des tâches se faisait plutôt autrefois en fonction de l'habileté, de la force, mais aussi de l'âge. Il est sûr qu'une mère nantie de nourrissons n'allait pas courir les aurochs, mais quand elle n'avait pas d'enfant à s'occuper, rien ne l'empêchait de prêter main-forte aux chasseurs, au contraire. pour ce qui est de la cueillette, elle aurait plutôt été l'apanage des vieux et des gamins, des estropiés.
la répartition moderne des tâches dans les peuples traditionnels n'implique pas du tout qu'il en fut de même jadis, et donc, je pense honnêtement que la vision du préhistorique mâle, chasseur, carnassier, féroce et méchant n'est peut-être pas forcément la bonne... Ca aurait pu aussi être UNE préhistorique carnassière, féroce et méchante, et encore, rien ne dit qu'il faille être forcément méchant et féroce pour abattre un animal et le préparer ensuite... Les chasseurs des peuples traditionnels demandaient l'autorisation aux Esprits ou aux entités en lesquelles ils croyaient, pardon d'avoir à tuer les bêtes. Les éleveurs et les modernes croyants remercient Dieu de leur avoir permis d'avoir leurs repas quotidiens, et je crois malgré tout, que la viande et les légumes, la nourriture en général, est encore respectée, parce qu'essentielle. Ce qui n'est plus respectable, par contre, sont ceux qui ont fait des élevages et cultures intensifs, ont désacralisé la nourriture et nous servent de la gerboulade ! depuis que ces empoisonneur ont pris les rênes, la malbouffe est devenu le moyen de gaver et d'éliminer à plus ou moins brève échéance des couches de population indésirables et financièrement pauvres. Ce sont en effet ces populations qui sont les proies préférées de ces truands, et c'est dans leurs rangs qu'on trouve le plus d'obèses et de malades de toutes sortes.
Quand la nourriture est de qualité, elle ne rend pas malade, que ce soit du végétal ou de l'animal.
Zed, viens donc immigrer en France, tu serais surprise !
A+ !
Tinky :-)
Assez d'accord avec ce que tu dis.
Je ne parlais par contre pas de cueillette, mais des pratiques ancestrales de l'agriculture, celle qui signifia la fin du nomadisme, notamment chez les Premières Nations ici.
Non, je ne crois pas qu'il s'agissait de méchanceté non plus et j'imagine aussi que la gente féminine pouvait être présente, possiblement, sans être sûre que cela ait été bien courant. Par contre, l'esprit de la chasse est assez comme celui de la guerre... Adrénaline, mobilisation des forces de concentration et désir de victoire.
Ici aussi il y a des fermettes du genre. La campagne n'est pas ce qui manque au Québec et il y a énormément de développement relativement aux produits du terroir. Mais comme toujours, ce sont les plus riches qui y ont accès, ne serait-ce que parce qu'ils possèdent les moyens de transport, les sous pour l'essence, le temps de « loisirs » disons car tout cela prend du temps, des congélateurs et l'espace!
Bien sûr on nourrit les pauvres d'abord du rêve que la merde qu'on leur sert, à grand renfort publicitaire, est bonne pour eux et participera à leur bonheur. Tout à fait d'accord avec toi là-dessus.
Mais... ce n'est pas parce que la société change que la « solidarité » doit être portée aux nues, sans savoir de quelle sorte de solidarité il s'agit, un concept peut-être traduit dans sa version contemporaine. Un, il y a toujours de la solidarité et deux, on a gagné en autonomie individuelle, en intimité, en liberté individuelle (moins de pression, menace, punitions des pairs dans certaines cultures, pas toutes, hélas) on n'est plus la propriété du groupe ou du mâle (pour les genre de sociétés que tu sais).
D'autres genres de solidarité sont à développer, comme toujours dans l'évolution de l'Histoire.
Celle de prendre soin de notre planète, malgré la vengeance de la météo et de la Terre, qui ma foi sont assez évidentes, cette solidarité-là, mon dieu qu'elle met du temps. Je crois que pour trop de gens, on sera disparus depuis longtemps quand elle (ne) viendra (pas). Ne sera jamais venue.
Malgré toute mon affection pour mes amis français et ma chère Tinky, jamais je ne pourrais vivre en France. Mais c'est si gentil de m'inviter, chère Québécoise d'adoption. Et j'ajoute en dépit de la laideur de notre architecture, en général. Ho-rri-bles villes, surtout, aucune vision d'ensemble. $$$ mène...
Enregistrer un commentaire