lundi 20 décembre 2010

Si ce type est un Cro-Magnon, je suis Lady Gaga !!!

Hihihi ! Du silex à tailler pour les amis de Néanderthal !!! Voilà le lien qui mène vers l'article reproduit ci-dessous in extenso : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/12/cro.html
Préhistoire : Cro Magnon n'a jamais fait la révolution
Crane Salkhit Face  Le débat sur l'évolution de l'homme rebondit avec des découvertes troublantes... et des scientifiques à l'esprit critique. Parmi les découvertes, un crâne d'allure très ancienne découvert en Mongolie (photo à gauche). Sa datation récente, au plus 30 000 ans, montre qu'il traverse les frontières mises depuis longtemps entre l'homme moderne - Cro Magnon ou vous même - et nos ancêtres.
Autres découvertes : ces traces d'activités culturelles, ou de technologies très anciennes - des dizaines de milliers d'années, et pourtant d'allure "moderne" qui relativisent la réputation de "révolutionnaire" de Cro-Magnon.
J'ai publié vendredi dernier dans Libération un article fondé sur un reportage à Toulouse, le voici ci dessous, agrémenté de liens et d'images qui n'ont pu trouver place dans le journal vendu en kiosque.
Toulouse, envoyé spécial. «Regardez ce crâne, archaïque, non ? Un air de Néanderthal, voire d’Homo erectus, voyez ces arcades sourcilières proéminentes, ce front bas, rejeté en arrière…». José Braga arbore un sourire malicieux. Assis dans son bureau de l’Université Paul Sabatier, il tient en main un moulage de crâne, actuellement présenté au public (1). Un crâne très incomplet. Réduit à sa partie supérieure - comme si l’on avait sabré l’homme au niveau des yeux puis découpé à l’horizontale - et le montre en soulignant à plaisir son allure «archaïque» selon les critères habituels permettant de le séparer du «moderne», autrement dit Cro-Magnon ou votre voisin de palier.
Lorsque ce crâne est découvert, en 2006 dans une steppe glaciale et désolée du Nord-Est de la Mongolie NE Mongolie paysage steppe (photos:Projet First Modern Humans in Mongolia) sur le site de Salkhit par des prospecteurs d’or clandestins, ces derniers se disent qu’ils ont trouvé un objet vraiment ancien, donc valant… de l’or pour des scientifiques. Ils le vendent illico à des paléoanthropologues mongols. Ces derniers contactent Yves Coppens, le célèbre co-découvreur de notre lointaine cousine l’australopithèque Lucy. Et personne ne douta alors que ce vestige fut très ancien.
Lorsque Braga (Cnrs, laboratoire Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse) fut alerté par Coppens, ce dernier lui confia l’objet en estimant qu’il s’agissait d’un représentant archaïque de l’humanité. Dans un article paru en février 2008 (2), Yves Coppens et ses cosignataires évoquent même, outre sapiens archaïque qui à la faveur du titre, Néanderthal et la filière Homo erectus chinoise pour qualifier ce fossile.
Mais, avec la physique nucléaire, les datations directes viennent compléter les analyses morphologiques ou géologiques poursuivies par José Braga, Yves Coppens et d’autres spécialistes sur le NE Mongolie fouille de g à d Braga, Teyssandier et Duranthon site de Salkhit (photo, José Braga, Nicolas Teyssandier et Françis Duranthon fouillant à Salkhit). Un minuscule morceau de crâne, étudié au carbone-14 dans un laboratoire américain de Floride, a donné une date entre 21.860 et 22.150 ans. Une autre étude en cours, avec des moyens plus performants, pourrait le vieillir, «mais, au plus à 30.000 ans» affirme José Braga.
Conclusion ? «L’homme de Salkhit est donc un sapiens sapiens, comme nous. La variabilité morphologique de notre espèce est sous-estimée… ce qui veut dire aussi que la conception que l’on a de ses relations de parenté avec Néanderthal ou Homo erectus pourrait être erronée, trop vue sous l’angle d’une violente coupure».
L’anthropologue - il est professeur à l’Université de Toulouse - est un spécialiste es-morphologies Crane Salkhit global humaines. As de l’imagerie médicale, c’est un virtuose de la reconstitution des anatomies en trois dimensions à l’aide de données numérisées d’ossements actuels et fossiles et d’informatique. Et c’est en biologiste, donc amoureux de Darwin, de l’évolution et de la variabilité, qu’il aborde son sujet favori, celles de l’Homme.
Une variabilité trop souvent occultée dans la pensée des anthropologues. Or, souligne t-il «la vraie dimension du volume du cerveau de sapiens sapiens, ce n’est pas les 1400 cm3 canoniques devant lesquels devrait s’incliner un erectus à 1000 cm3. Chez les buschmen d’Afrique australe, on trouve des individus très proches du fameux mais désormais désuet «rubicon cérébral», vers 800 cm3, censé nécessaire à la pensée complexe. C’est entre 800 et 2000 cm3 que se situent les crânes de sapiens sapiens. Et rien, là, de la distance entre un imbécile et un super-intelligent, puisque Anatole France affichait à peine plus de 1100 cm3.»
A cet exemple classique, l’anthropologue ajoute ses propres travaux sur le développement des dents. Une étude récente, menée à l’aide du synchrotron de Grenoble (ESRF) sur les dents de 10 jeunes néandertaliens et sapiens fossiles, veut démontrer que les premiers devenaient adultes plus vite ? Il Braga à son bureau rétorque que l’âge d’émergence des premières molaires permanentes varie de 4 à 7 ans dans les populations actuelles. Et lance: «je suis certain que dans les collections anatomiques des muséums, on trouverait des individus aux allures néandertaliennes, en tous cas très proches de certains fossiles qualifiés de néandertaliens».
Que cherche à faire José Braga, en effaçant ainsi, à petits coups ironiques, les frontières soigneusement posées entre espèces humaines par des décennies d’anthropologie ? Tout simplement à soutenir que «la messe n’est pas dite» quant aux relations de parentés entre formes humaines. Que la vulgate d’une population d’Homo sapiens surgie brusquement en Afrique il y a environ 200.000 ans, et n’ayant connu aucune relation sexuelle reproductive avec d’autres groupes, n’est pas la fin de l’histoire de nos ancêtres. Que la découverte (Libération du 7 mai 2010) de faibles traces d’ADN spécifiquement néanderthaliens dans les populations modernes indique plutôt que les frontières entre ces groupes n’ont pas été totalement hermétiques (lire une note sur cette découverte).
C’est en préhistorien, spécialiste de «l’industrie lithique, la taille du silex, le principal témoin culturel de nos ancêtres» que Nicolas Teyssandier (laboratoire Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés à Toulouse-2 le Mirail) rejoint José Braga. Dans son bureau et dans son discours dissonant par rapport à la vulgate actuelle de l’histoire de l’homme.
La dissonance de Nicolas Teyssandier pourrait s’intituler ainsi : «Cro-Magnon n’a jamais fait la Révolution». Mine de rien, c’est un énorme couac dans le concert des discours sur la préhistoire.
Depuis l’Abbé Breuil, il y a un siècle, le paradigme préhistorique affirme qu’il y a environ 37.000 ans Cro-Magnon (ci dessous, le crâne princeps trouvé à Cro Magnon) est arrivé en Europe et s’y est conduit en révolutionnaire. Inventant moult techniques lithiques, en rupture avec celle en vigueur depuis des dizaines de milliers d’années, baptisée 509px-Cro-Magnon moustérien. En créant ex nihilo la technologie de l’os. En gravant et peignant les parois des cavernes. Le tout interprété comme autant de signes et de composantes d’une révolution culturelle dite Aurignacienne, du nom de baptême de la technologie de taille du silex identifiée dans la grotte d’Aurignac, en Haute-Garonne.
Une révolution équivalente, écrit Henri Breuil, à l’invention de l’agriculture au néolithique, lorsque l’homme devint producteur et non seulement chasseur/cueilleur. (Lire une note sur la reconstitution en 3D du cerveau de Cro Magnon).
Tenant, croyaient les préhistoriens, une simultanéité entre l’émergence de l’homme moderne, Cro-Magnon - ou du moins son arrivée en Europe - et d’une révolution culturelle, rien de plus tentant pour eux que d’associer solidement les deux en un duo nécessaire et suffisant. L’idée que Cro-Magnon est arrivé armé d’une civilisation pleine et entière - art, langage, pensée religieuse, technologies, organisation sociale - perdure depuis. Elle s’est même renforcée au point d’imposer sa conséquence : Cro-Magnon a envahi l’espace européen, en a évincé Néanderthal, d’un seul et rapide mouvement. Le paradigme dominant
Or, estime Nicolas Teyssandier, ce paradigme central de l’anthropologie depuis près d’un siècle doit être «renversé». C’est même l’objectif officiel, le programme scientifique de l’équipe qu’il anime au sein du laboratoire Traces (Université de Toulouse le Mirail et Cnrs).
Ce paradigme, explique t-il, a survécu «malgré les signes répétés que montraient les fouilles de ce que des innovations réputées «cro-magnon» ont des avatars bien plus anciens».
Des signes ? Le dernier est un article paru dans la revue Science (2) dont le premier auteur est Vincent Mourre (INRAP et Traces). Il relate une découverte surprenante : il y a 75.000 ans, des hommes vivant sur le site de Blombos Les outils de Blombos (Scienceà (Afrique du Sud) ont utilisé une technique lithique très sophistiquée. A l’aide de pressions exercées sur la pierre, préalablement chauffée, des instruments en os ou en bois de cervidés permettaient d’obtenir des bords ultra-tranchants, fins, aigus, en enlevant de tout petits morceaux. Or, seuls les artistes du Solutréen, en Europe il y a 20.000 ans, étaient censés connaître cette technologie. (Photo, outils de Blombos, Science)
D’autres archéologues ont découvert en Europe, mais aussi au Proche-Orient, en Afrique, des signes gravés, des ornements, des coquillages percés - autant de caractères attribués auparavant à la révolution aurignacienne - qui affichent pourtant des dates de allant de 90.000 à 45.000 ans. La période où, sur de vastes espaces européen et moyen-orientaux, Cro-Magnon et Néanderthal ont coexisté. Sans jamais se croiser ni s’influencer ? Difficile d’imaginer pire situation pour un scientifique : rien le ne prouve… et rien ne l’interdit.
Même la «révolution aurignacienne», affirme Teyssandier, ne résiste pas à la ré-analyse des documents Grotte Chauvet archéologiques qui ont servi à l’inventer. Lorsque l’on reprend les stratigraphies - un travail de haute précision qui l’a occupé durant plusieurs années - c’est toute une évolution qui émerge, entre 37.000 et 30.000. Une évolution plurimillénaire donc complètement insensible à l’échelle d’une vie humaine, imperceptible pour les hommes, mais qui efface l’idée d’un Cro-Magnon arrivé tout armé de sa civilisation. (photo, grotte Chauvet, Ardèche, datée entre 32.000 et 26.000 ans environ)
L’unité de cette civilisation aurignacienne ne résisterait pas, elle non plus, à l’analyse plus précise des différences régionales, affirme Teyssandier.
Pire : les associations entre outillages et fossiles humains, censées trancher les querelles de spécialistes sur leur attribution à Cro-Magnon ou Néanderthal, sont très rares, et souvent contestées.
Nicolas Teysssandier va jusqu’à affirmer : «Il n’existe aucune certitude associant un contexte archéologique des premières cultures du paléolithique supérieur, entre 45 000 et 35 000 ans, avec des restes humains indubitablement modernes. L’être humain responsable de ces productions demeure donc mystérieux». L’absence de documentation fossile claire brouille la vue des scientifiques. Du coup, là où le public reçoit de la part des écrivains ou des cinéastes (voir le film récent Ao de Jacques Malaterre) une histoire des relations entre ces deux humanités - qu’elle soit celle d’une rencontre amicale ou d’un conflit sanglant se terminant par l’extinction de Néanderthal - le préhistorien, après avoir été peut-être trop sûr de lui, hésite…
Les points de vue radicaux de José Braga et Nicolas Teyssandier, en rupture avec le discours tenus par d’autres préhistoriens comme Jean-Jacques Hublin (Max Planck Gesellschaft de Leipzig), sont-ils un retour en arrière ? Aux conceptions prévalant avant que la génétique moléculaire vienne mettre son grain de sel dans l’affaire ? Rudimentaire dans ses premières approches, elle a tout d’abord inventé la fameuse «Eve» africaine, puis un «Adam» tout aussi mythique. Elle a mis en scène une sortie d’Afrique d’un Homo sapiens sapiens effaçant, violemment ou non, toute autre population de nos origines. Pour enfin dénicher une part de Néanderthal en nous (la note sur cette découverte)… ce qui suppose de renverser la barrière mise auparavant entre l’homme moderne et cette autre humanité. A ce stade, il serait surtout «imprudent de conclure», s’amuse Teyssandier.
(1) «Préhistoire [s]. L’enquête.» jusqu’en juin 2011 au Muséum de Toulouse.
(2) Vincent Mourre et al. Science du 29 octobre 2010.


Par Sylvestre Huet, le 13 décembre 2010

2 commentaires:

Anonyme a dit…

L'Université Paul Sabatier et celle du Mirail ne sont pas si loin de mon propre lieu de travail voire de résidence. D'un point de vue professionnel, je suis fréquemment amenée à côtoyer l'une et l'autre. Qui sait, je serai peut-être amenée à rencontrer ces messieurs Braga et Teyssandier. Leurs conclusions sont passionnantes, en tout cas !

Bob a dit…

Moi aussi je te souhaite un joyeux Noël (ayant bien peur que ce soit déjà passé en France) et une bonne année remplie de bonheur et de santé.

DarkEvil de Geek Mode.