vendredi 1 août 2008

Continuation du coma de Délian-Ka, toujours les écrits métaphysiques de Mimi.

Délian-Ka continue son drôle de trip dans les limbes... On ne se remet pas comme ça de la java avec une ourse !!!

23 février 3001.

Unité de soins intensifs de la base inter temporelle Gamma.

L’endroit était plongé dans un profond silence. Un seul lit était occupé. Par un être immobile, livide et décharné en qui j’eus bien du mal à reconnaître la femme que j’avais été, il n’y avait pas si longtemps.
« - Oh, mon Dieu ! » murmurai-je, m’approchant de ce quasi-cadavre.
Je revenais toujours à cette locution typiquement française et moderne lorsque j’étais la proie d’une émotion intense. Je m’étonnais d’ailleurs de récupérer si vite des réflexes purement humains et, si j’ose dire, purement « Déliankanesques ».
La femme allongée dans le lit, cette femme qui avait été moi, n’avait plus que la peau et les os. Ses cheveux autrefois opulents paraissaient ternes, fragiles et rares, comme les cheveux d’une très vieille femme. A ma grande surprise, elle respirait sans aide et n’était branchée à rien. Ça n’avait pas toujours dû être le cas.
Je ne voyais pas son corps, caché par une sorte de couverture de survie brillante remontée jusqu’à ses épaules qui pointaient sous la chemise de nuit bleue qu’on lui faisait porter comme si elles voulaient la trouer ! J’étais étonnée d’avoir perdu tant de poids et tant de muscles en deux mois seulement. Dans quel état cette maudite ourse avait-elle dû me laisser ?
Mes bras reposaient sur la couverture, inertes et presque entièrement recouverts de bandages stériles. Le gauche recevait la perfusion qui devait me permettre de me nourrir et d’absorber malgré moi des antibiotiques à forte dose. Mon cou, lui aussi, disparaissait sous une sorte de pansement complexe que j’avais pris au premier regard pour une minerve. Je me rappelai alors avoir cru que l’ourse m’avait arraché la tête. Nous n’en étions visiblement pas loin. Les gens du XXX° siècle avaient pu me sauver en dépit d’une blessure pareille ! C’était incroyable ! Leur technologie était tout de même extraordinaire ! Même dans l’état où je me trouvais, j’étais un véritable miracle de la science ! Un demi-siècle plus tôt, je serais sûrement morte d’une telle étreinte !
Je me rappelait aussi qu’après l’attaque de l’ourse, je m’étais retrouvée projetée hors de mon corps et n’avais vu ce dernier qu’allongé sur le ventre, à même la neige. C’est pour ça que je m’étais crue morte. Et mes amis l’avaient cru aussi, qui projetaient de m’enterrer ! C’est au moment où ils m’avaient retournée sur le dos pour me laver que j’avais perdu le contact. J’avais ressenti une douleur. J’avais souffert en tant qu’esprit mais aussi, et surtout, en tant que corps ! Peut-être avais-je gémi ! Crié ! En tout cas, mes amis n’avaient pas dû être peu surpris quand ils avaient dû constater que je vivais encore ! Il fallait croire que j’avais la vie singulièrement chevillée au corps !
Je découvris aussi, avec une satisfaction qui m’étonna moi-même que, contrairement à ce que j’avais cru, je n’étais pas défigurée. Ça non plus, je ne le savais pas puisque, la dernière fois que j’avais vu mon corps, mon visage était profondément enfoui dans la neige souillée de mon sang. Je m’étais attendue à avoir la figure littéralement arrachée ; ce n’était pas du tout le cas. Il était même pratiquement intact bien que plus émacié et comme endurci par la douleur. Seule une balafre en virgule sur ma joue droite, assez près de l’œil, était visible. En la contemplant, je me dis que si je survivais à cette épreuve, je pourrais toujours me recycler dans la publicité pour une marque de chaussures et de vêtements de sports qui avaient fait les beaux jours de la fin du XX° siècle et dont le logo ressemblait furieusement à cette cicatrice encore pourpre.
Mais il n’était pas du tout question que je survive ! J’étais venue ici pour abréger mes souffrances de mortelle avec l’aide de celle qui avait été ma grand-mère ! Et ce que je venais de découvrir ne m’incitait pas du tout à changer d’avis.
Alors que je me tournais vers Ida pour lui demander ce que je devais faire, je m’aperçus, épouvantée… qu’elle n’était plus là !
Piégée comme une bleue… par une bleue !
Affolée, je me mis à voleter à toute vitesse autour de la pièce, appelant ma grand-mère qui, bien sûr, s’était fait la malle depuis un bon moment déjà !
La malhonnête ! Elle avait fait semblant d’accepter ma proposition pour mieux pousser mon âme à revenir traîner près de mon corps ! Puis elle était partie ! Lâchement ! Silencieusement ! Profitant d’un moment de fascination bien légitime de ma part !
A présent, elle devait se trouver dans le cœur de Moïa, bien peinarde ! Bien tranquille et satisfaite d’avoir accompli sa mission ! Peut-être avait-elle enfin obtenu l’autorisation de se réincarner ! C’était ignoble ! Injuste ! Elle n’avait pas le droit !
Je finis par cesser de tourner inutilement autour de la pièce comme une mouche, revins me poster près de mon corps et tentai de réfléchir plus calmement.
Après tout, c’était moi qui avais lancé la première l’idée de revenir errer parmi les vivants, près de cette carcasse qui avait été la mienne et qui se refusait à trépasser. Peu importait alors le prétexte que j’avais invoqué. Était-il possible que j’aie manifesté un désir inconscient de revenir à la vie ? Mon corps, apparemment si mal parti était-il en train de me rappeler à lui ?
Je m’observais une fois encore et ne pus m’empêcher d’en douter. Dire que j’étais plus morte que vive n’avait rien d’une métaphore. Je n’en pouvais manifestement plus. Je n’osais imaginer ce qui se cachait sous la couverture et sous les pansements, particulièrement celui qui protégeait mon cou. Je me rendis compte que, lorsque je respirais, je produisais un drôle de petit bruit, un bruit de tuyauterie comme j’avais dit une fois. Une sorte de petit ronflement douloureux et encombré, assorti de temps à autre d’un faible gémissement à peine audible mais pitoyable.
Il était évident que cette enveloppe charnelle souffrait, que je ne voulais pas souffrir et que, par conséquent, je ne voulais pas retourner dans ce corps-là ! Les choses allaient vraiment trop mal et ce n’était qu’un début : ensuite viendrait –peut-être– le réveil, la réanimation, la rééducation… Si ça se trouvait et comme je l’avais déjà dit à Ida, je ne pourrais peut-être plus marcher ou parler et il y avait en plus cette histoire de grossesse.
Je ne voulais absolument pas courir le risque d’endurer toutes ces épreuves. J’allai me coller au plafond et attendis la suite des événements.
De l’endroit où je me trouvais, j’étais suffisamment loin pour ne pas risquer de me retrouver incarnée de force. Je ne pouvais toutefois m’empêcher d’observer mon corps sous toutes les coutures mais je m’aperçus bien vite que je n’étais pas la seule dans ce cas.

Les indésirables (1).

L’unité de soins intensifs de Gamma est bien évidemment inaccessible au public mais une grande baie vitrée la sépare d’un couloir depuis lequel les proches d’un malade peuvent venir lui rendre visite, l’observant sans le déranger d’aucune manière. Avisant un groupe de personnes derrière cette vitre, je conclu que ces gens étaient sûrement venus pour moi puisque j’étais la seule patiente dans la pièce. Civilisée malgré tout, je me laissai gracieusement glisser jusqu’à terre et m’approchai d’un pas léger.
Je fus véritablement furieuse de constater que les visiteurs n’étaient ni des amis ni des membres de ma famille mais un groupe de préhistoriens connus venus observer le spécimen en toute impunité !
« - Bande de vautours ! m’écriai-je, Vous n’avez pas honte ? C’est une unité de soins intensifs, ici ! Pas un zoo ! »
Évidemment, ils n’entendirent rien ! Pas même lorsque je frappai du plat de mes mains sur le verre, ou plutôt le plastométal transparent qui m’isolait de ces êtres si peu scrupuleux. Je fus moi-même surprise de n’entendre aucun bruit. Je me rappelai alors que j’étais un fantôme et cela ne fit qu’augmenter ma perplexité.
Puisque j’étais un fantôme, j’aurais dû pouvoir passer à travers le plastométal. Voire à travers les murs ou la porte de cette pièce. J’essayai aussitôt mais en vain.
Non seulement je ne passais plus à travers les éléments solides, mais en prime, je ne pouvais guère m’éloigner du corps inerte allongé dans le lit. J’avais beau faire, il m’attirait inexorablement. J’avais l’impression que quelque chose me maintenait attachée à lui. Je me sentais comme un animal en laisse ! Un premier contact semblait renoué, c’était le cas de le dire !
C’était bien ma veine ! Je n’avais le choix qu’entre deux options : me résoudre à regagner cette enveloppe charnelle qui refusait de mourir et mettre ainsi un terme à sa léthargie ou bien attendre sagement que cette machine de chair et de sang cesse de fonctionner pour être enfin libre.
Je préférais encore choisir cette solution-là et remontai au plafond afin de m’observer de nouveau, comme les modernes qui étaient restés derrière leur vitre à me lorgner sans scrupules.
Seule une femme-écrivain d’origine américaine à la silhouette rebondie avait choisi de s’en aller, prétextant un mal de tête soudain.
En voilà une qui était plus intuitive qu’on ne pensait !

Les indésirables (2).

Alors que je regardais mon corps allongé juste au-dessous de moi, j’avisai une sorte de lumière d’un vert tirant fortement sur le jaune qui pulsait paisiblement au niveau de mon plexus solaire. Je crus pendant un instant qu’il s’agissait d’une lampe qui se reflétait sur la couverture de survie mais lorsque la nuit tomba et que la chambre fut plongée dans une obscurité quasi-complète (seule une petite veilleuse diffusait à présent une lueur orangée semblable à celle de braises mourantes). je vis que cette lumière paraissait plus intense encore.
J’observai un peu mieux et compris très vite : c’étaient les bébés et l’énergie qu’ils dégageaient qui produisaient cette lumière visible seulement par un esprit tel que moi. Je regardai un peu mieux et réalisai qu’en fait, la lumière était d’un vert intense et que plusieurs taches plus claires, plus jaunes s’y mouvaient lentement, générant cette impression de pulsation. Leur forme grossière évoquait celles de fœtus, voire celle des fameux cocons de renaissance dont ont m’avait si cruellement sortie.
Effectivement, je distinguai plusieurs taches. Deux, en fait… Et peut-être même… Peut-être même TROIS !
Je me collai au plafond avec plus de conviction encore ! Si j’avais des raisons de ne pas vouloir vivre, elles n’était rien comparées à cette nouvelle découverte ! Me retrouver enceinte alors que j’étais entre la vie et la mort était déjà une chose terrifiante. De jumeaux, c’était encore plus effrayant ! Mais de TRIPLÉS ! C’était littéralement impensable !
Même en pleine forme, je n’aurais pas été capable de mettre au monde et d’élever trois enfants à la fois alors pensez donc… Dans cet état-là ! J’aimais les enfants, mais il y avait des limites !
Mon âme passa la nuit agrippée au plafonnier, maudissant Moïa et les tours pendables qu’Elle me jouait ! Je trouvais vraiment cela de très mauvais goût ! Comment voulait-Elle que je me rétablisse dans des conditions pareilles ?
Une pensée horrible me hantait : « - Ils me mangent de l’intérieur ! ». Et c’était sûrement ça, d’ailleurs ! Sinon, comment expliquer la maigreur cadavérique qui était à présent la mienne ? Et la survie complètement inattendue de ces petits malheureux ?
J’en vins alors à penser que c’était sûrement ça, la volonté de Moïa : j’allais survivre le temps que ces enfants se développent en moi, j’allais leur servir littéralement d’incubateur, les porter, les mener à terme, les mettre au monde puis je mourrais, épuisée. Après quoi Moïa Se chargerait de leur destin. Ce n’était plus mon affaire.
Bah, c’était un marché honnête. Encore quelques lunes de patience et de souffrance et je retournerais au sein de Moïa.
Je me détendis quelque peu et attendis.

Cette nuit-là…

Le moins que l’on puisse dire est que l’on s’occupait bien de moi.
Plusieurs fois, dans la nuit, une jeune infirmière d’origine rakhéï que je ne connaissais pas vint prendre soin de moi avec un dévouement au sujet duquel il n’y avait rien à redire : elle changea à plusieurs reprises ma chemise de nuit trempée de sueur et je pus alors voir à quel point mon corps était massacré et amaigri. Cela me donna encore moins envie de le regagner.
On ne distinguait par contre rien de ma grossesse qui n’était pas encore suffisamment avancée.
La jeune infirmière changeait donc fréquemment mes vêtements mais aussi l’espèce de couche qui m’empêchait de me souiller. Elle vérifiait aussi la sonde qui me permettait d’uriner. Moïa ! J’avais sacrément dégénéré, cette fois ! Elle me lavait avec patience et douceur, sans chercher à savoir si j’étais une Moéha ou une Rakhéïa, si je descendais ou non d’Atlante… Je dois avouer qu’en l’observant, j’avais un peu honte de certaines de mes réactions passées.
Il lui arrivait aussi de glisser un bras derrière mes épaules pour me forcer à m’asseoir et me faire boire quelques gorgées d’eau. Il n’était alors pas rare que je m’étouffe et lui crache involontairement dessus. Elle m’essuyait alors gentiment le visage, sans faire montre de la moindre impatience ni de la plus infime répulsion, puis s’essuyait aussi, m’expliquant que je devais me réhabituer à ce genre de réflexe tout simple si je voulais un jour redevenir comme avant !
Redevenir comme avant ! Belle foutaise !
N’empêche ! Aurais-je été capable d’en faire autant si j’avais été l’infirmière et elle la malade ?

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